...
«Yukito... dit, tu pourrais sourire une fois de temps en temps?»
Yu sera le dernier à se manifester. Il est calme, placide et son visage inexpressif. Il y a longtemps, il était un gamin rempli d'énergie. Il a tout vidé et depuis, il est devenu blasé et désabusé. Plus rien ne l'étonne, plus rien ne l'effraie. On l'a brisé, humilié et détruit. Yu n'a plus rien à donner. Il garde tout pour lui, sa fureur, sa tristesse, sa joie et sa curiosité. Il se balade les yeux dans le vide et quand il vous regarde lentement, vous ne voyez qu'une surface lisse, sans reflets, sans émotions, mi-clos. Pourtant, en plongeant, en se noyant, on découvre une multitude de choses. Ses yeux sont avides, il observe, apprend et analyse. Il mémorise tout, est curieux et ouvert. Il n'a aucun prétexte pour haïr quelqu'un ni pour l'aimer. Il rencontre une personne avec l'idée qu'elle est impartial comme lui. Yu a pourtant des goûts... mais sans les afficher. Il aime tout ce qui touche à la gastronomie sans aucune exception jsqu'à aujourd'hui, eh oui il n'a pas tout mangé. Il aime peindre, dessiner n'importe où, n'importe quand. Il aime découvrir, il touche à tout, regarde tout et s'approche de tout, même de gens louches. Il n'est pourtant pas naïf au contraire, il connait beaucoup de chose et est très réfléchi. Il ne fonce jamais la tête baissée. En réalité, il ne fonce jamais car il ne se sent pas touché par quelconque conflit. C'est un défaut de Yu. Ils ont tellement joué de lui qu'il en a perdu ses valeurs, ses principes. Il ne sait pas ce qu'il trouve bon ou mauvais. Tout ce qu'il sait, c'est qu'il a une grande phobie de la solitude et de la souffrance. Il n'aime pas qu'on l'enferme et c'est comme s'il se réveillait. Il reprend du poil de la bête et se déchaîne. Il hurle qu'on le laisse sortir, supplie et se débat. Yu est comme une poupée, du moins, c'est ce qu'il pense de lui. Il se considère comme tel, accepte toutes les insultes, encaisse tous les chocs sans réchigner car il ne se trouve pas digne de protester ou de s'imposer. Pourtant, tout au fond de lui, il possède un très grand courage, une force et une endurance à toute épreuve et ce n'est nullement un lâche.
Tout ce qu'il lui manque, tout ce qu'il lui suffit pour être enfin quelqu'un, pour enfin se détacher et s'imposer... ce n'est qu'une chose: l'amour, l'amitié.
«
J'ai besoin de toi! Kida! Fais-moi sourire! Aide-moi!»
Un bip sonore se fit entendre et Yu se réveilla en sursautant légèrement. Le train s'était arrêté. L'adolescent rajusta son foulard et se leva, suivant la masse qui sortait telle une vague des wagons. Il souffla en relevant la tête. Les flocons dansaient joliment au-dessus de tous les passants. Apparaissant en cohorte du ciel, valsant tel de grands ducs d'autrefois, tombant doucement à leur pied, à chaque fois ils devenaient plus nombreux et s'emparaient du monde, le plongeant sous un rideau glacé, blanc et réconfortant. Du moins, c'était ainsi que Yu voyait les choses. Il se fit plusieurs fois bringuebaler par les gens pressés qui le bousculait et l'emmenait au passage. L'adolescent ne réagissait pas, il se laissait faire sans réchigner et pas une fois il ne perdit patience, pas une fois il n'osa molester l'énième inconnu qui venait de le pousser à son tour.
«
J'ai besoin de toi!»
Yu écarquilla doucement les yeux. Encore ces mots. Il regarda par-dessus son épaule mais ne vit plus le train qu'il avait emprunté pour quitter Narita, Yokohama, Tokyo... Un autre l'avait remplacé et il repartait pour laisser sa place, quelques fractions de secondes plus tard, à un autre train. Yu fixa longuement le vide devant lui. Que faisait-il loin de sa maison? Que cherchait-il? Pourquoi était-il parti? Qu'y avait-il de mal là-bas?
Kida. À la pensée de son frère, seul et abandonné, Yu se dit qu'il devrait peut-être retourner chez lui. Il réajusta sa besace, ressera sa poigne sur le manche de sa valise et se dirigea vers les guichets. Il s'arrêta au beau milieu de sa route. Non. Quelque chose en lui se refusait à retourner là-bas. Yu resta figé pendant quelques temps parmi la foule de passants qui se pressaient sur les quais, certains voulant partir et remplacer ceux qui revenaient ou débarquaient constamment des trains. La gare, à cette heure était cacophonique des bruits étouffés ou nets des pas résonnant dans la gare, des appels et des conversations. Retourner ou s'éloigner. Yu choisit et bifurqua vers la sortie de la gare. À plusieurs reprises il avait voulu partir. À plusieurs reprises il avait échoué. À plusieurs reprises on l'avait rattrapé et rabroué. Cette fois il était passé. Yu laissa les flocons tomber sur son visage, geler le bout de son nez et rougir ses joues, les cils et les sourcils blanchis par la douce froideur de l'hiver.
«
J'ai besoin de toi!»
Narita. Les Katsuhiko fêteront son départ. Les Katsuhiko maudiront son départ. Les Katsuhiko oublieront son existence, abandonneront sa vie.
~***~
«Si tu veux qu'on soit gentil, il faut que tu sois gentil tu es d'accord? Hum?»
«Quel idiot! Tu croyais vraiment que je parlerais en ta faveur?! Bah! T'as quand même fait ce que je t'ai demandé alors pour ta peine, je dirai seulement que tu es celui qui à écrit: "Mme. Midorikawa est une grosse salope!" Hahaha! Non mais t'es vraiment idiot!»
«Yu! Incapable! Je t'avais dit d'être prêt dans deux minutes! Ça ne prend pas tant de temps mettre des chaussures!»
«Tu m'énerves! Allez dégage! J'en ai rien à faire de toi!»
«Ça un enfant? Laisse-moi rire! On dirait un serviteur! Yu, sers-moi du jus! Yu, sers-moi un autre bol!»
«Yu!»
«Yu!»
«T'es nul! C'est complètement démodé! Change de goûts tu veux!»
Insultes et coups pleuvant tel un voile sur ses pensées. Ses principes étaient mauvais. Il fallait tout recommencer. Comme toujours. Il ne faisait jamais les bonnes choses. On lui disait que c'était mal et lorsqu'il changeait, on lui disait que c'était bien. Alors Yu, sous peine d'être puni, sous peine d'être rabroué ou montré à tous comme un gamin sale, obéissait, docile, sans jamais se plaindre et au final... il n'était rien d'autre qu'une âme se balançant entre les volontés des autres. Yu se cherchait mais à chaque fois, quelqu'un le rattrapait et lui bloquait le passage. Il se retrouvait dans une pièce noire, où tout le monde le pointait du doigt. Où tout le monde le critiquait et où, sans justice, il était l'éternel coupable. Yu était né le 17 décembre à 0:14:57... il était mort le 17 décembre à 0:14:57.
~***~
Ils étaient dans leur chambre, assis sur leur lit respectif. Kida rayonnait. Yu restait le même.
«Qu'est-ce que tu veux me montrer? Ça fait longtemps que tu ne m'as pas fait part de quelque chose!»
Yu observa son frère qui le regardait, des étoiles dans les yeux. L'enfant descendit de son lit et extirpa du dessous une grosse boîtes. Il fit signe à son frère d'approcher et Yu ouvrit les pans du dessus, dévoilant au grand jour un oisillon qui piailla en agitant vivement ses petites ailes. Kida se pencha en poussant un cri de joie.
«Kida. C'est Kida. Mon ami.
― Il porte le même prénom que moi?»
Yu hocha la tête et s'empara de quelques vers qu'il avait gardé. Il en offrit deux à l'animal qui tendit précipitemment le cou et les goba.
Kida tendit la main mais le bébé claqua son bec et l'enfant la retira prestemment en criant de plus belle.
«Tu n'as pas à avoir peur. Il ne te connait paas encore mais quand il sera habitué, il t'aimerait beaucoup.
― Quand l'as-tu trouvé?
― Avant-hier, il piaillait dans son nid, tout seul. Je l'ai ramassé sr le chemin de l'école et je l'ai caché.
― Il n'est pas blessé au moins.»
Kida observa avec fascination l'animal mais son frère l'empoigna par les épaules et le força à le regarder dans ses yeux vides.
«Kida, n'en parle à personne tu comprends? Personne ne doit être au courant, ce sera notre secret d'accord? Promet-le moi.»
Kida plongea ses deux iris du même bleu dans les profondeurs de son frère. Il le connaissait depuis leur naissance. Il savait déceler les moindres anomalies dans le stoïcisme de son frère. Celui-ci était inquiet et Kida n'aimait pas le voir inquiet. Il hocha vigoureusement la tête, il promettait de ne rien dire si cela pouvait dissiper l'inquiétude de Yu. Celle-ci disparut aussitôt, bien que personne n'ait pu voir la différence.
«Kida? C'est toi qui a crié?»
Les deux frères fixèrent aussitôt la porte de leur chambre. Yu referma rapidement la boîte et la replaça en-dessous de son lit et ouvrit les volet de la fenêtre où les bruits assourdissants des voitures retentissaient. Leur mère ouvrit la porte et Kida serra aussitôt son frère contre lui, tout souriant tandis que Yu ne réagissait pas.
«Oui maman! Yu m'a fait un saut pour plaisanter. Ça n'a rien de grave.»
Leur mère décocha un regard noir à Yu et si Kida ne l'avait pas fermement tenu contre lui, elle l'aurait emmené avec elle et lui aurait appris les bonnes manières. Elle s'efforça un sourire en regardant Kida, maudissant rageusement Yu de l'intérieur.
«Tu ne devrais pas te laisser faire mon chéri. Et toi Yu fait attention, tu sais que ton frère est sensible. On mange dans une heure et pas de retard, je vous préviens.»
Elle referma la porte et Kida lâcha son frère qui s'épousseta les vêtements, comme s'il était tombé dans la poussière.
«Est-ce que tu comptes garder ce bébé?
― Oui, jusqu'à ce qu'il puisse voler de lui-même. Je ne ferai que suivre son cheminement et si ça te dit, tu peux participer.
― Oh oui!»
Kida regarda son frère, admiratif. Yu pensait toujours aux autres plutôt qu'à lui et à la pensée qu'il lui demandait d'être complice, le cœur de Kida battait la chamade. Comment ne pas l'aimer encore plus?!
~***~
― Tu plaisantes?! Où es-tu maintenant?!
― À la gare de Yokohama.
― Quoi?! Pourquoi? Tu aurais pu me prévenir!
― Kida...
― Qu'est-ce que je fais moi? Et si jamais maman me posait des questions?!
― Elle ne t'en posera pas, c'est toi qu'elle veut.
― Je m'en fiche! Où comptes-tu aller?
― Je ne sais pas.
― Tu vas trimbaler tes affaires n'importe où? J'aurais pu t'aider!
― Maman ce serait inquiétée dans ce cas-là. Kida, ne t'en fais pas.
― Ne pas m'en faire?! Tu te fiches de moi? Je te cherche depuis ce matin! Je pensais que tu étais allé à l'école plus tôt!
― Mon cell va s'éteindre. Je suis désolé Kida.
― Attend! Yu...!
La connection fut coupé. Yu rangea son téléphone et observa les heures de départs. Prochaine étape, Tokyo.
«Pardon... Kida.»
~**~
«
J'ai besoin de toi!»
Yu s'arrêta à nouveau, ajusta son foulard au niveau de ses lèvres où s'échappait son souffle en buée de givre. Ses cheveux parsemés de points blancs flottaient au vent qui fouettait agressivement les joues de l'adolescent. Il releva la tête et observa la ville qui s'étendait devant lui. Quand avait-il parcouru tant de chemin?
«
J'ai besoin de toi!»
Yu senti un sentiment familier émaner de cette ville. Un sentiment réconfortant. Quelque chose qui apaisait son errance. Sans hésiter, porté par la neige, le vent et cette force imperceptible, Yu avanca et pénétra dans la ville. Il ignorait jusqu'où il était allé mais ces paroles résonnaient contre les parois de son cerveau. De quoi avait-il besoin? Que cherchait-il? Que voulait-il? L'adolescent ne savait pas encore. En fait, il savait mais n'arrivait pas à mettre le point sur quoi. Tout du moins, en ce moment, il se sentait apaisé comme jamais avant. On aurait dit qu'il avait accompli son but, qu'il était arrivé à destination sans savoir pourquoi.
«
J'ai besoin de toi! Reviens!»
~***~
«
Je t'aime!»
Nan mais euh... c'est mieux que d'être castor inavoué. *PAN*