Le jeune homme a eu ce que l’on pourrait qualifier d’enfance heureuse. Elevé avec sa petite sœur de neuf ans sa cadette dans un environnement financièrement aisé, on ne pouvait pas dire que la vie ne les avait pas gâtée.
Leurs parents leurs avaient tout appris, transmettant leur amour pour la culture et les pays anglo-saxons, ainsi qu’Européen, dans lesquels ils se rendaient souvent.
D’un père pilote de ligne et d’une mère hôtesse de l’air, inutile de préciser que même si Kaemon est japonais, ce n’est pas un pays dans lequel il a réellement grandi. De multiples et incessants déménagements lui on permit d’être aujourd’hui parfaitement polyglotte, puisqu’il maîtrise le japonais, l’anglais, le français et l’italien absolument couramment.
Mais en ce temps-là, tout était calme et paisible, et rien n’aurait pu gâcher une vie aussi douce et simple.


Puis vint l’époque du lycée, alors que sa famille s’était installée pendant quelques temps aux Etats-Unis. C’était là où il la rencontra : Arisa.
Ce fut le grand amour. Rien ne pouvait les séparer… sauf peut-être la mort, qui survint précisément un soir du 6 juillet. Ils avaient à l’époque 18 ans, et Kaemon venait tout juste d’avoir son permis de conduire. Le bal de fin d’année venait de prendre fin et l’adolescent souhaitait alors ramener sa petite amie chez elle. La chaleur ardente de la journée fut terrassée par l’arrivée d’un fort orage qui déchaîna sa colère avec violence. Ce fut un véritable déluge, mais qu’importe, ils en riaient, ils étaient heureux. A la radio passait leur musique favorite qu’ils chantaient à tue-tête. La route était peu voir presque pas éclairée et ils roulaient un peu vite. Mais peu importait, ils étaient jeunes, ils avaient la vie devant eux. La chaussée était trempée, les roues glissaient par moment.
Mais ils n’étaient pas les seuls à dépasser les limites de vitesse. Puis les choses s'enchaînèrent, incontrôlables.
Au croisement d’une petite route, un chauffeur de camion ivre au volant déboulait à toute vitesse.
Puis c'est le bruit, les lumières… Tout tourne à une vitesse vertigineuse. Et enfin, c'est le choc.

Le bip bip incessant des machines le sortirent enfin de son inconscience. Il sentait une main chaude tenir la sienne.

* Arisa…? *

Ses paupières se mirent à bouger, et peu à peu une forte lumière blanche l’aveugla. Lorsque ses yeux furent habitués à la luminosité, il balaya la pièce inconnue du regard. Il ne sentait plus son corps, rien, aucune douleur. Mais lorsque son regard vint se poser sur sa sœur, assise au bord de ce lit d’hôpital, la mine défigurée par l’inquiétude et les larmes qui coulaient à tout va sur ses joues tandis que la voix de ses parents retentissait dans le couloir, il comprit que jamais plus sa vie ne serait la même.

Cinq mois plus tard et le garçon marchait lentement le long du canal. L’endroit, abrité par les arbres, était un véritable havre de paix. Mais pourtant l’esprit du jeune Shingen, lui, ne cessait de le torturer. La voix du médecin lui revint une nouvelle fois comme s’il était encore auprès de lui.

« Où est Arisa ? Où ?! »

« Elle est décédée, nous n’avons rien pu faire… »

« Décédée… », « rien pu faire… ». C’étaient les mêmes mots qui percutaient son esprit à lui en donner la nausée, jours après jours. Et ses côtes qui, elles aussi, le faisaient atrocement souffrir... Il passa une main tremblante sur son tee-shirt, à l’endroit même où une profonde cicatrice s’était dessinée alors qu'une partie de la carcasse de la voiture s'était enfoncée dans son thorax. Mais s'il s'en était miraculeusement sorti, son corps et son âme, eux, seraient écorchés vifs à jamais…

Puis le temps passait, et il essayait de reprendre le dessus, mais en vain. La dépression le rendait malade, suicidaire. Il prenait des médicaments à tout va, mais rien n'allégeait un tant soit peu sa peine qui ne disparaissait pas. Et ses proches qui étaient toujours aussi paniqués et inquiets à son sujet… La vérité, c’est qu’il commençait à étouffer. Il était las de voir leur visage chaque jour, las de leur pitié, de leurs petits soins qui le faisaient vomir… Il aurait voulu tout recommencer, refaire sa vie. Il n’y avait que comme cela qu’il pourrait s’en sortir, du moins s’il y arrivait…

Alors il a postulé à Rayen, dans le secret le plus total. Tout ce qui lui restait à présent c’était sa passion pour les études, l’enseignement et les relations humaines. Ce pensionnat au Japon lui permettait à la fois de renouer avec ses racines, mais également de fuir cette vie qui le consumait lentement, à petit feu.
C’était décidé, il avait l’opportunité de s’enfuir à l’autre bout du monde pour redémarrer à zéro, refaire sa vie.
Alors il partit, sans un mot. Il savait que sa famille s’en rendrait malade, mais il n’avait plus la force de continuer avec eux. Il lui fallait reprendre une fois pour toute sa vie en main.
Puis le temps défile, encore et encore, et il a aujourd’hui 26 ans. 8 ans se sont écoulés depuis la disparition de celle qu’il aimait, et s’il a un métier qui le passionne, des amis et des collègues qu’il affectionne, il n’arrive toujours pas à l’oublier, à l’effacer. Alors il noie cette tristesse dont nul n’est au courant dans le sexe et l’alcool. Tout va bien... mais tout va mal. Et il est seul, définitivement seul face à tout cela.
Son sourire vous dira toujours que tout va parfaitement bien, qu’il est infiniment heureux. Et vous le croirez. Mais regardez vraiment au fond de lui, et voyez…