Comme tous les jours, j'avais du temps. Comme chaque nouvelle journée, j’avais prévu grossièrement la façon dont les choses allaient se passer, en espérant que rien ne viendrait troubler leur bon déroulement. Comme à mon habitude, je me focalisais sur un contrôle total et absolu de mes heures, minutes et secondes. Ma vie était ainsi chronométrée. Je pilotais le temps et l’espace. J’en faisais mon terrain de jeu. En bon stratège, rien ne m’échappait.
Aussi, les cours n’avaient rien à faire là. Et moi, je n’avais strictement aucun lien avec eux. Ma seule hésitation quant à la marche à suivre, finalement, consistait en un doute entre l’exploitation intensive de la piscine, et un désir subit de courir. Oui, courir. Comme je l’avais longtemps fait, en fait. Courir était mon défouloir. Je me vidais la tête et la remplissait d’air frais. Il n’était plus question d’écouter de la musique, de discuter, de chanter, ou quoi que ce soit du genre. Quand je courais, c’était exclusivement dans ce but : aller de l’avant.
C’est donc ainsi, pour calculer et entendre mon rythme cardiaque, que je comptais passer les prochains instants de mon existence, en fin de compte. Arrivé assez tôt, si l’on regarde le soleil quasi-absent et le fond de l’air encore bien matinal, je me préparais donc à devenir un serial-runner. D’abord en jogging, puis changé pour me retrouver en débardeur et short, je m’échauffais. Dehors, il caillait. Mes mains, frottées l’une contre l’autre, ne changeaient rien. J’allais gravement me les peler. La seule chose que je pouvais faire, comme pour tenter de gagner du temps, était de trouver mon portable pour m’en occuper une ultime fois. Ces derniers temps, il est vrai que j’aimais narrer mes anti-exploits à cette sorte de journal intime. Une fille, vraisemblablement. J’ignorais jusqu’à son nom, et peut-être était-ce tant mieux. Par un concours de circonstances, j’avais trouvé son numéro de téléphone et n’avait pu m’empêcher de la harceler. Mais le pire, dans tout ça, était qu’elle répondait à mon acharnement. De toute façon, qui n’a jamais eu une petite habitude de raconter à quelqu’un qui lui semble à la fois suffisamment proche et éloigner pour donner son avis sans être envahissant ? Moi, en tout cas, je n’ai pas hésité. D’un part, parce que j’estime ma personne bien assez intéressante et distrayante pour mériter ces échanges. D’autre part, parce qu’écouter quelqu’un et tenter de l’aider psychologiquement, au quotidien, est une occupation qui me plait. Un jour, je pourrais devenir assistant social. Je sais bien que ma compagnie, des plus agréables, est recommandée pour la santé de l’esprit et du corps.
Notant donc que j’allais « braver le froid venu des steppes glaciales de mes origines, et que j’aurais bien besoin de quelqu’un pour venir me réchauffer après tout ça », j’ajoutais un petit « L’hiver vient. » grave et solennel. Puis hop, une inspiration, je vérifiais l’envoi de message où je n’avais même plus besoin de justifier le lieu ou mon identité, je souriais vaguement à l’annonce de la réception. Evidemment, j’avais toujours activé la fonction « accusé » pour ne pas perdre une miette de mes partages. J’étais donc devant cette porte encore fermée, quasi-seul dans l’établissement. Le terrain d’athlétisme était par là. Combien de temps tiendrais-je, dans le froid, l’humidité ambiante, le brouillard et la solitude ?