Ulrich se trouvait dans l'un des appartements mi-luxueux, mi-miteux de la ville. C'était le nom qu'il donnait aux appartements basique, accessibles pour un prix modiques, rarement pourvus d'une salle de bain en bon état. Debout dans un coin sombre, il glissa dans sa sacoche le porte-monnaie de la jeune fille qui se rhabillait un peu plus loin. Il était temps pour lui de s'éclipser, pendant qu'elle était encore un peu extatique, avant qu'elle ne s'aperçoive de la disparition de son argent. De toute façon, elle ne pourrait rien lui apporter de plus que les 30 000 yen qu'elle stockait là-dedans. Inutile de perdre son temps avec elle.

Sauf qu'au moment où il remettait sa chemise, elle se planta devant lui, la main tendue : « Maintenant rend-moi l'argent que tu viens de prendre avant que j'appelle la police.». Comment tu sais ça, toi ? Alors qu'il se posait la question, il remarqua le miroir devant lequel elle se trouvait un peu plus tôt. Minuscule, bien dissimulé mais largement suffisant pour le surveiller. Vire cette main de ma sacoche, ce fric est à moi maintenant !

Alors qu'elle essayait de récupérer son bien, il lui arracha la lanière des mains et s'enfuit en courant, mettant à profit les nombreux entraînements à la course que lui avaient fournis Lulu et les diverses personnes qui en avaient après lui, un peu trop nombreuses. « Reviens ici, Keran !». Oh mais quelle délicieuse idée que de lui donner un faux nom. Ca ne l'empêchait certes pas de lui courir après, mais personne ne pourrait se lancer à sa recherche une fois qu'il l'aurait semée. Il courut donc le plus vite possible, zigzagant entre les passants, s'efforçant de n'en bousculer aucun (ou très peu) pour ne pas se faire d'ennemi supplémentaire. Bientôt, la jeune fille dont il avait déjà oublié le nom disparut au coin d'un rue, mais il continua de courir pendant quelques minutes, ralentissant au fur et à mesure. Quand il fut sûr qu'elle était trop loin pour le rattraper, il reprit sa marche sur le trottoir, comme si de rien n'était. Sauf que...

Sauf que quand on s'appelle Ulrich Kirschten, on s'attire un problème à la seconde. Aussi, il ne tarda pas à s'apercevoir que certains passants le désignaient à un groupe de policiers qui venaient rechercher un voleur. Il en conclut deux choses. Premièrement qu'il avait mal choisi sa cible car sa conquête du jour devait avoir des relations haut placées : jamais aucun policier ne s'était lancé si vite à sa poursuite. Deuxièmement que s'il ne s'enfuyait pas rapidement et ne trouvait pas un endroit où se cacher tout aussi rapidement, il était fichu.

Sauf que quand on s'appelle Ulrich Kirschten et qu'on s'attire un problème à la seconde, on ne se rend compte qu'après avoir atteint l'autre bout de la ville qu'on a oublié sa veste chez ladite conquête. Il pesta contre son absence de réflexes de ce côté-là avant de se remettre à courir à travers les rues et ruelles, parvenant finalement à se cacher dans un recoin sombre où ils ne le retrouvèrent pas.

Sauf que quand on s'appelle Ulrich Kirschten et qu'on s'attire un problème à la seconde, on ne peut aller nulle part sans croiser la magnifique mais non moins dangereuse Lulu Dixapel.
Jamais deux sans trois, comme on dit.

Tout avait si bien commencé, pourtant...
Lulu s'était levée tôt , trop tôt pour considérer qu'elle n'arriverait pas à retrouver le sommeil, elle s'était préparée en quelques minutes, comme tout les jours, et avait quitté le pensionnat à l'heure habituelle où elle commençait les cours. Depuis son renvoi du petit restaurant du centre commercial où elle travaillait le week-end, suite à une ultime crise de nerfs, Lulu n'avait plus de travail. Etait-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Elle n'avait pas encore assez de recul pour le dire. Tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle n'avait plus aucun moyen de gagner de l'argent, et donc plus aucun moyen de manger autre chose que la bouffe infâme de la cantine.

Elle était en train de marcher en ville lorsqu'elle avait involontairement piétiné une veste tombée au sol. Le problème, c'est que cette veste appartenait au chef d'une bande d'apprenti yakuza qui n'aprécia pas du tout. Lulu faisait peut-être confiance à sa force, mais elle n'était pas encore folle, et dans la situation actuelle ses talents en athlétisme lui seraient bien plus utiles. Quand ils s'approchèrent d'elle, elle fit volte-face et s'enfuit en courant.

C'est par pur hasard qu'elle se retrouva cachée exactement au même endroit qu'Ulrich. La première chose qu'elle se demanda, c'est ce qu'il avait encore fait pour s'attirer des ennuis. Surtout quand elle vit des policiers passer devant leur cachette.

- Mais qu'est-ce que tu as encore foutu, le parasite ?

Bon, elle était mal placée pour le critique vu qu'elle était aussi en mauvaise posture. Mais ça le détendait.

C'était la première fois qu'il voyait Lulu courir pour autre chose que pour se battre. Et la première fois qu'il la voyait courir pour autre chose que pour le frapper, aussi. Là, elle semblait surtout s'enfuir. A sa réplique, il esquissa un sourire moqueur. « C'est amusant ça, parce que j'ai l'impression que je ne suis pas le seul à avoir des ennuis. J'ai bien envie de te retourner la question, pour le coup. ». Pour une fois qu'elle n'avait pas envie... non disons qu'elle n'avait pas l'intention de l'assommer ou de lui casser quelque chose, autant en profiter un peu.

Quand il entendit des pas rapides se rapprocher, il jeta un oeil et se plaqua aussitôt contre le mur. Il connaissait ce gang, pour être l'un de leurs ennemis, pour des raisons qu'il avait d'ailleurs oubliées depuis longtemps. Il tourna un regard ahuri vers Lulu. « Tu t'es mis des yakuza à dos ? ». Bon, ça n'en étaient pas vraiment, mais ils n'en étaient pas loin. D'ailleurs, dans ses souvenirs, c'étaient des fils de yakuza. Tous prédisposés à suivre les traces de leurs parents. Il grimaça. Jamais il n'aurait cru cette fille capable de s'attirer des ennuis pareils.

Une fois que leurs ennemis respectifs se furent éloignés, Ulrich reprit son souffle Vu à quel point les uns comme les autres étaient tenaces, voire carrément bornés, il savait déjà qu'ils étaient tous les deux bien loin d'être tirés d'affaire. « Si on reste ici, on se fait choper à coup sûr. » constata-t-il.

Qu'est-ce qu'il cherchait à faire ? De toute évidence, vu les sarcasmes parfaitement perceptibles dans sa voix, il se payait encore sa tête. Génial, et comme elle se devait d'être discrète, elle ne pouvait même pas lui faire ravaler sa maudite ironie. Lassée, elle ne répondit pas à la question qu'il lui posait et se figea en entendant ceux qui la cherchaient courir dans leur direction.

Plaquant sa main sur sa bouche, elle étouffa l'exclamation surprise d'Ulrich et le maudit intérieurement. Non mais vraiment, il était stupide. Stupide à un point phénoménal qui lui donnait encore plus envie de l'assommer. Elle attendit de ne plus entendre les pas de plus en plus éloignés pour le lâcher.

-Si tu ne fermes pas ta grande gueule, oui, on va se faire choper, pauvre crétin décérébré, soupira-t-elle

Quel imbécile, franchement. Pas étonnant qu'il s'attire autant d'ennuis, sa stupidité était un super-aimant à problèmes. Et forcément, il fallait qu'elle se trouve au même endroit que lui. Cela dit, elle dut admettre qu'il avait raison : ils reviendraient forcément pour fouiller les recoins qu'ils n'avaient pas vérifiés à leur premier passage. Elle ne leur glisserait pas deux fois entre les doigts. Elle détestait ça. Elle détestait, d'abord, devoir admettre même mentalement que le parasite avait raison. Et surtout, elle détestait se retrouver dans le rôle de proie alors qu'elle tenait plutôt du chasseur. Elle ne voulait pas se faire prendre. Mais elle ne pouvait pas rester cachée ici. Alors elle se faufila à l'extérieur de sa cachette après un bref coup d'oeil.

Ulrich cligna des yeux et la fixa avec surprise. Certes, il connaissait le côté agressif de la jeune fille, à force de la côtoyer, mais il ne s'attendait pas à ce genre de réaction. Il reprit sa respiration lorsqu'elle retira sa main et, prudent, s'abstint de commentaire. La prochaine fois elle ne serait sans doute pas aussi... douce, quoique le mot ne lui convenait pas vraiment. Par contre, quand elle commença à se glisser dehors, il la saisit par le bras pour la ramener brusquement dans leur cachette. « Tu veux crever ? Non parce que si tu sors maintenant, t'es bien partie pour. ».

Tenir tête à Lulu pour lui rendre service le surprit lui-même. D'habitude, il cherchait plutôt à lui pourrir la vie ou juste à la mettre en colère. Il ne se rendit compte qu'à cet instant qu'il ne voulait pas qu'il lui arrive du mal. Enfin pas pire que ce qu'il avait pu lui faire lui-même, et qui était minime face à des yakuza. Non, vraiment, il préférait la protéger... Quoiqu'il soit difficile de protéger quelqu'un capable d'assommer n'importe qui. Surtout pour lui.

Comme ils l'avaient tous les deux pressentis, l'un des yakuza revint dans leur direction. D'un regard, il intima à Lulu de rester immobile. Et, dès que la tête de l'homme s'approcha de leur cachette, Ulrich sortit son couteau et le planta dans son épaule avant de le pousser au sol. Puis, pendant que l'autre était sonné, il saisit la main de Lulu et la traîna derrière lui, courant dans les rues, entre les passants.

Lulu s’appétait à lui hurler dessus lorsqu'elle se rappela qu'elle était sensée être discrète. Alors elle se contenta de lui jeter le regard le plus glacial possible, surtout lorsqu'elle se rendit compte qu'un de ses ennemis les avait retrouvé. c'était de sa faute, encore. Si ce crétin n'avait pas parlé aussi fort, il ne les auraient pas repérés. elle aurait pu s'enfuir et...

Non, il avait raison, et elle enrageait de l'avouer. Si elle était sorti maintenant, elle se serait fait attraper et elle l'aurait amèrement regrettée. Mais pourquoi l'en avait-il empêchée, au juste ? Il aurait dû saisir une occasion en or de se débarrasser d'elle... Bah, il devait avoir eu peur que le yakuza s'en prenne aussi à lui, sans doute. Il avait l'air de les connaître, après tout.

Tout se passa très vite. Pendant qu'elle avait la tête ailleurs, elle n'aperçut pas qu'Ulrich avait sortit son arme. Elle ne vit que l'éclat brillant, entendit un bruit mat et se retrouva forcée de courir derrière lui.

-Mais qu'est-ce que tu fous, Kirschten ?

Après un regard en arrière et la vision de l'homme ensanglanté, bien qu'il semblât encore vivant, elle choisit de ne pas poser de question. Du coup, elle ne se dégagea pas, trop effrayée à l'idée d'être suivie par le reste de la bande. Puis elle se rendit compte qu'il lui tenait la main. La main. Il ne pouvait pas l'attrapper par le poignet, comme tout le monde ?

Où l'emmenait-il, d'ailleurs ? Que cherchait-il à faire ? Elle voulut le questionner, mais il courait trop vite pour l'écouter, et elle ne voulait pas courir le risque de le forcer à s'arrêter. Elle espérait juste qu'il ne la traînerait pas jusqu'à l'autre bout de la ville.

Ulrich courut à perdre haleine jusqu'à trouver enfin ce qu'il cherchait : le bâtiment abandonné où Maaku l'avait emmenée, une fois... et où il avait pris l'habitude de se cacher depuis. Il ne lâcha la main de Lulu qu'une fois à l'intérieur s'asseyant par terre pour reprendre son souffle. « Désolé de t'avoir traînée comme ça, mais on n'avait pas franchement le choix. ». Elle lui en voudrait sans doute de ne pas lui avoir donné d'explication avant de se lancer, mais il préférait ça que de se manger ses crises de nerfs après qu'elle se serait faite capturer par la bande de yakuza.

Il l'observa un instant. Toujours aussi magnifique. C'est à ce moment qu'il s'aperçut qu'ils étaient très, très proches. L'attirance qu'elle suscitait par sa simple présence le poussa à crisper les poings en fermant les yeux. Mais leur proximité était-elle que ça ne changea rien. Incapable de lutter contre la tentation qu'elle représentait, ne serait-ce que par son parfum qu'il pouvait encore sentir, il se pencha dans sa direction pour l'embrasser, passant sa main dans ses cheveux et attirant son visage vers lui pour s'emparer de ses lèvres.

Ce n'était pas pour échapper à une retenue potentielle, ni pour l'énerver, ni pour lancer une rumeur. Il avait juste eu envie de l'embrasser, là, maintenant. Elle pouvait bien s'énerver après, le frapper ou qu'importe. Elle le tentait beaucoup trop. Son visage, son corps, son odeur... Elle était presque l'incarnation de la tentation. Depuis quand était-il aussi peu maître de lui-même ?

Lulu regarda autour d'elle, incapable de définir où il l'avait emmenée. L'endroit était vieux, sombre et délabré. Au moins, on ne les trouverais pas ici. Le connaissant, elle aurait presque eu peur qu'il ait une idée derrière la tête. Mais vu qu'ils venaient de fuir leurs ennemis respectifs, il n'y avait sans doute même pas pensé. Enfin elle l'espérait, du moins. D'ailleurs, pourquoi l'avait-il aidée ? A sa place, elle l'aurait sûrement laissée se sortir seul de ses problèmes, même s'il l'avait suppliée ? Alors pourquoi est-ce qu'il avait pris la peine de la sauver ?

Elle était assise par terre, pas très loin de lui, lorsqu'elle remarqua le regard qui la parcourait. Ce n'était pas le même que d'habitude. Il était curieusement différent du regard lubrique qu'elle lui connaissait et qu'il avait à chaque fois qu'elle l'avait vu la détailler. C'était étrange... Son regard était presque doux. Quand il se rapprocha, elle uet un mouvement de recul instinctif.

-Qu'est-ce que tu...

Elle ne put pas finir sa phrase. Les lèvres d'Ulrich se posant sur les siennes emprisonnèrent sa voix dans sa gorge. Et son corps, mu par un étrange réflexe, la poussa à fermer les yeux et à répondre à son baiser. Répondre aux caresses de ses lèvres...

Quand elle prit conscience de ce qu'elle était en train de faire, elle rompit brusquement le contact. C'était quoi, ça ? Cette espèce de moment intime bizarre ? Qu'est-ce que lui avait pris de faire ça ?... Incapable de trouver quelque chose à dire, elle se releva un peu trop vivement et sortit en courant. Il fallait qu'elle rentre. Vite.

Ulrich fut surprit qu'elle réponde à son baiser. Qu'est-ce que ça voulait dire ? Il s'attendait pluôt à ce qu'elle le repousse, avec sa violence habituelle. Alors pourquoi... Bah, peu importe. Voyant qu'elle semblait d'accord, il en profita pour approfondir, glissant sa langue entre ses lèvres pour aller effleurer la sienne. C'est à peu près à ce moment-là qu'elle le repoussa.

Il n'eut pas le temps de la rappeler qu'elle s'était déjà enfuie. Il poussa un soupir, s'efforçant de calmer les battements de son coeur. Pourquoi... Pourquoi ne l'avait-elle pas repoussé ? Ca aurait été tellement plus simple si elle avait agi comme d'habitude. Un coup de poing lui aurait sûrement remis les idées en place. Mais elle ne l'avait pas repoussé.. du moins au début. Et même après, elle ne l'avait pas frappé. Et à cause d'elle, il en était là. A devoir admettre. Ce n'était pas qu'une attirance physique, il s'en doutait depuis un moment. Mais il aurait tellement préféré pouvoir continuer de croire et affirmer l'inverse. Maintenant, il n'arrivait plus à se mentir à lui-même. Parce qu'elle ne l'avait pas rejeté...

Ulrich se leva, quittant le bâtiment abandonné en oubliant les policiers que le recherchaient. Mais il ne trouva pas Lulu. Oui... elle devait déjà être loin. A pas lents, il se mêla à la foule, le coeur battant, se demandant toujours pourquoi elle avait accepté sa tentative. « Avoue au moins que je ne te laisse pas indifférente... » murmura-t-il. Il récupéra son sourire. Oui, elle avouerait... Oh, Maaku n'allait vraiment pas aimer ça.