Isolé sur le toit, Ulrich perdit son regard dans le vide, sans se formaliser de la hauteur du bâtiment. Sa relation avec Lulu avait empiré depuis leur dernière conversation, et il ne l'avait pas croisée depuis plus de deux semaines. Même s'ils dormaient dans la même chambre, Lulu avait l'air de mettre toute son énergie à l'éviter. C'était assez étrange d'imaginer qu'une fille qui l'avait presque poursuivi à chaque fois qu'il l'avait croisée et même des fois où il n'avait rien demandait s'évertuait maintenant à mettre le plus de distance possible entre elle et lui. Et assez désespérant aussi, pour tout dire.

Il poussa un soupir. Cette fille est une vraie plaie dans son genre, mon pauvre Ulrich, t'iras nulle part avec elle. Pourtant, assis sur le rebord du toit, il calculait le nombre d'endroits où il pourrait la croiser, et cherchait un moyen de lui adresser la parole. Elle l'avait embrassé, et au vu des sentiments qui se bousculaient dans son propre coeur, il était hors de question qu'il la laisse fuir. Faut croire qu'il était maso. Tomber amoureux d'une fille pareille, franchement.

Une heure plus tard, il se décida à se lever et descendit les escaliers jusqu'à sa chambre. S'il voulait parler à Lulu, c'était la meilleure solution dont il disposait. Il ne voyait pas d'autre moyen, en fait. Tant pis pour le sommeil. Il hésita un instant, puis alla la secouer légèrement pour la réveiller, au risque de la mettre en colère. « Lulu, il faut qu'on parle, toit et moi. ». Il ne savaient pas si leurs autres camarades de chambre dormaient, mais il préféra chuchoter, au cas où.

Elle n'avait pas fait ça, elle n'avait pas pu faire une chose pareilles... Pourtant, même si elle refusait de l'admettre, ses lèvres avaient encore la sensation de celles d'Ulrich, le déroulement des évènements tournait en boucle dans sa tête. Elle n'arrivait pas à détacher ses images de son esprit. Son baiser, sa rép... Non, il l'avait embrassée mais elle n'avait jamais été d'accord ! Elle l'avouait repoussé, après tout... Oui... Elle l'avait repoussée, elle s'était enfuie.. Mais avant...
Elle se sentait mal...

Pour ne pas perdre cette certitude, elle avait décidé de ne jamais le revoir. Elle se couchait après lui et se levait bien avant, tant pis pour le sommeil, de manière à ce qu'ils ne se croisent pas dans la chambre. Elle évitait les couloirs qu'il traversait souvent et n'allait plus aux cours qu'ils avaient en commun. Grâce à tous ça, elle avait réussi à l'éviter pendant à peu près deux semaines. Mais tout a une fin...

Ce soir-là, alors qu'elle se roulait en boule à la recherche d'un sommeil qui ne voulait pas venir, Lulu avait entendu Ulrich sortir. Alors bon, il était insomniaque ? Le fait d'avoir perçu sa présence n'avait cependant pas arrangé son mental et elle avait encore moins réussi à dormir. Quand il revint dans la chambre, elle s'efforça de faire semblant de dormir pour qu'il ne s'approche pas d'elle. Sauf qu'il avait l'air bien décidé à la réveiller. Elle répondit d'une petite voix en se repliant sur elle-même.

-Je n'ai pas envie de te parler, Kirschten, alors laisse-moi tranquille...

La première chose qu'il remarqua fut qu'elle l'avait appelé par son nom de famille, chose qu'elle ne faisait que quand elle était pas mal en colère. Dommage. Ensuite, il remarqua qu'elle n'avait pas la voix de quelqu'un qui vient de se réveiller, mais la voix plaintive qu'elle avait eue lorsqu'elle s'était enfuie la dernière fois, donc qu'elle n'était pas en train de dormir, et donc qu'il ne l'avait pas réveillée. Donc ce n'était pas pour ça qu'elle était en colère. Et pourtant, il fut surpris de ne déceler aucune colère dans sa voix malgré tout, contrairement à ce à quoi il s'attendait.

« Oui mais moi je veux qu'on parle Lulu » soupira-t-il en la forçant à tourner la tête vers lui « et je n'ai pas envie d'attendre que tu daignes accepter de me croiser dans un couloir. ». Il la regarda dans les yeux malgré l’obscurité, tout en l'empêchant de se détourner. Lulu était réputée pour sa franchise, pourtant il était persuadé qu'elle se mentait à elle-même ou, à défaut, qu'elle lui mentait, à lui. Il savait qu'il ne résisterait plus très longtemps à la tentation qu'elle représentait.

« Je n'aime pas rester dans le flou. Alors cesse de me fuir et explique-moi. ». Il s'étonna lui-même du ton conciliant de sa voix. Jamais il n'avait parlé comme ça à quelqu'un, à part pour s'attirer ses bonnes grâces et si on faisait exception de la chanteuse de son ancien groupe. Mais s'il parlait à Lulu avec son ton habituel, il y avait trop de risques qu'elle s'énerve et qu'il ne puisse rien en tirer.

-Je t'ai dit de me laisser tranquille.

Elle voulut lui tourner le dos, mais il la retenait fermement. Dans le noir, elle distinguait son regard insistant. Il n'avait pas envie d'attendre ? Ce n'était pas son problème. Elle, elle n'avait pas envie de le voir. Elle n'avait pas envie de lui parler, elle n'avait même pas envie d'entendre sa foutue voix prétentieuse, même si elle avait un ton plus doux que d'habitude. Elle voulait juste qu'il la laisse en paix.

Lui expliquer quoi ? Il savait très bien pourquoi elle refusait de lui adresser la parole, alors pourquoi se sentait-il obligé d'insister ? Il lui tapait sur les nerfs. Elle ne voulait pas savoir, elle ne voulait pas l'entendre. Est-ce qu'il pouvait seulement comprendre que sa simple présence la mettait en colère ? Comme elle n'avait pas vraiment d'autre choix, elle s'efforça sans grand succès de récupérer sa voix naturelle.

-Tu n'avais pas le droit de m'embrasser...

Parler comme ça collait un sacré coup à son orgueil, mais elle se sentait totalement perdue. Elle n'avait jamais ressenti l'impuissance que sa présence provoquait, surtout face à un ennemi aussi faible, et elle était incapable de trouver une logique à ses propres actes. Pourquoi l'avait-elle... Non, elle n'avait rien fait, c'était lui. Elle ne ressentait aucun sentiment en dehors d'une haine viscérale pour lui.

-Pourquoi tu ne me laisses jamais tranquille ?! s'écria-t-elle en échappant à sa prise pour se rouler en boule.

Elle en avait marre de lui, marre qu'il lui parle, marre qu'il l'énerve. Elle voulait qu'il se casse et qu'il lui foute la paix pour de bon.

Jamais il n'avait vu Lulu dans un état pareil. De nombreuses fois il l'avait vue sortir de ses gonds, hurler de rage, mais jamais il ne l'avait vue si perdue, presque effrayée. « Si je n'avais vraiment pas le droit, pourquoi tu t'es laissée faire ? » lui demanda-t-il d'un ton calme Il aurait pu ne pas insister pour la préserver, mais il voulait lui faire avouer la vérité, même si elle tenait à la cacher.

Alors, quand elle se dégagea, il alla s'asseoir sur le rebord du lit, passant sa main dans les longs cheveux dorés. Elle le repousserait sans doute, mais il n'en tenait pas compte. « Si je ne te laisse pas tranquille », lui répondit-il simplement, « c'est parce que tu es la seule à pouvoir dire ce que je cherche à entendre. ».

Il jeta un oeil aux deux autres lits pour vérifier que la plainte de Lulu n'avait réveillé personne, puis il reporta son attention sur elle. « Tu sais aussi bien que moi que tu n'as pas commencé par me repousser » reprit-il « alors arrête de te mentir ! Où est passée la Lulu dont la franchise est légendaire ? ». Il la brusquait un peu, mais il n'avait pas d'autre choix, vu comme elle était butée... Et puis il n'avait pas tort sur ce point, Lulu était réputée pour sa franchise parfois tranchante. Et là, elle se mentait et elle lui mentait en se repliant sur elle-même. Ça ne lui ressemblait pas.

Elle ne s'était pas laissée faire, c'était encore un de ses tours pour la manipuler. Ce parasite débile et insupportable s'amusait à jouer avec ses nerfs depuis leur première rencontre, il l'avait dit lui-même. Ce n'était qu'un pervers déglingué qui la considérait comme un jouet plus amusant que les autres. Elle n'avait pas l'intention de se laisser faire, de le laisser faire. Il lui tapait continuellement sur les nerfs, de toute manière.

-Je ne me suis pas laissée faire...

Lulu se vit s'asseoir près d'elle et lui balança un coup de poing dans le bras pour qu'il vire sa main de ses cheveux. Puis elle lui tourna le dos en se recroquevillant. Il l'exaspérait. Et elle détestait qu'il la touche comme ça. Elle se sentait encore plus impuissante dans ce genre de cas et elle avait dû résister très fort pour ne pas le mordre.

-Je n'ai rien à te dire, fous-moi la paix.

Ce qu'il dit ensuite la toucha directement. Franchise ? Oui, elle était réputée pour ça. Au fond d'elle-même, elle savait qu'il disait la vérité. Mais pour la première fois de sa vie, elle lui préférait le mensonge. Elle n'aimait pas la vérité qui cherchait à se loger dans sa tête. La vérité qui décidait qu'elle ne ressentait pas que de la haine pour cet homme.. Alors elle serra les poings et se redressa brusquement, le saisissant à la gorge pour le plaquer contre un mur.

-La ferme !

S'étant levée trop vite, elle fut prise d'un vertige qui la força à se rasseoir sur son lit. Elle saisit sa tête dans sa main et serra les dents. Ca suffit, ce petit jeu avait trop duré. Elle lui jeta un regard glacial.

-Arrête de te foutre de ma gueule, Ulrich Kirschten ! Arrête de te croire supérieur ! Tu n'es rien, juste un parasite qui commence sérieusement à me pomper l'air !

Voyant qu'elle refusait toujours d'admettre, Ulrich laissa échapper un soupir désespéré. Comme il s'y attendait, elle repoussa la main dans ses cheveux, quoiqu'elle le fit avec plus de violence que ce qu'il aurait pensé. A ses yeux, c'était surtout signe qu'elle était en train de sortir de son état second, donc qu'elle allait un peu mieux mais qu'elle allait, du coup, redevenir dangereuse...

... ce qu'elle ne tarda pas à lui prouver. Plaqué au mur, Ulrich tira sur les doigts de la jeune fille pour essayer de libérer sa gorge, vu qu'il ne parvenait pas à respirer. Heureusement pour lui, elle bascula en arrière peu de temps après, et il bénit ce réflexe du corps humain de tomber dès que la tête tournait un peu après un redressage trop brutal. Tandis qu'elle parlait, il s'efforça de reprendre sa respiration. Elle allait finir pas le tuer, un jour, avec sa manie d'étrangler à tout bout de champs... Puis il vint s'asseoir près d'elle, malgré la menace que représentait sa colère.

Il se pencha dans sa direction, approchant son visage jusqu'à ce que son souffle vienne caresser ses lèvres. « Je ne suis rien, vraiment ? » demanda-t-il dans un murmure, « Alors pourquoi ça te fait tant d'effet ? ». Puis il l'embrassa, retenant ses mains avec le plus de forces possibles pour qu'elle ne le repousse pas. Si elle cède, c'est que j'ai raison. Il la connaissait. Si elle ne cédait pas, elle trouverait toujours un moyen de le repousser. Mais j'ai raison, alors elle ne le fera pas, pas vrai ?

Quand il s'assit à côté d'elle, elle se prépara à lui écraser violemment le pied. Mais ce qu'il fit ensuite stoppa aussitôt son geste pour le transformer en mouvement de recul. Un frisson courut sur sa peau. Trop près... Il était beaucoup trop près.... Et elle ne savait pas pourquoi ça lui faisait un tel effet... Bon, si, elle savait au fond d'elle-même, mais elle refusait ne serait-ce que d'y songer.

-Non... Tu n'es rien... Ne... t'approche pas de moi...

Très convaincant, elle aurait presque eu envie de s'applaudir pour sa pitoyable performance. Mais de toute façon, il ne l'écouta pas. Cependant, cette fois-ci, elle tenta de lui résister, par orgueil, malgré les battements de son coeur qui commençaient à s'emballer. Merde, pourquoi est-ce qu'elle était incapable de sa calmer ? Pourquoi est-ce qu'elle était incapable d'affirmer haut et fort qu'elle détestait ça, et de le repousser violemment une bonne fois pour toute ?

Elle tenta de dégager ses mains, mais il devait avoir prévu son geste car il la retenait fermement. Mais, avant qu'elle ne puisse s'écarter de lui ou songer que lui écraser le pied était un bon moyen de le faire lâcher prise, sa dernière barrière céda. Elle cessa de se débattre, laissant ses sentiments et ses désirs prendre le pas sur sa volonté. Tant pis pour la fierté. Elle l'embrassa avec passion, oubliant ce qu'elle affirmait quelques secondes plus tôt. Et sa langue se mêla à celle d'Ulrich dans un soupir, son coeur battant la chamade. Elle n'arrivait plus à penser, à se persuader elle-même qu'elle ne ressentait rien. L'attraction était trop forte, et il était trop insistant pour qu'elle lui résiste longtemps.

Quand il la sentit résister, il raffermit la pression sur ses poignets. Il refusait d'abandonner si vite, puisqu'il était persuadé d'avoir raison. Il la sentit se détendre au bout d'un moment. Bon, elle n'avait pas réussi à s'enfuir, elle n'avait pas songé à la mordre, à lui filer un coup de pied ou à lui casser le poignet en bougeant sa main trop violemment. Donc elle n'était pas si contre que ça, finalement. Puis elle se laissa aller, mais il préféra attendre encore quelques instants avant de se décider à la lâcher.

Libérées de leur rôle de liens, les mains d'Ulrich se placèrent naturellement derrière sa tête et sur sa taille. Il se sépara de ses lèvres pour déposer des baisers dans son cou. Pris dans l'action, il oublia ce qui se passait autour d'eux et la fit basculer en arrière, retournant s'emparer de ses lèvres, dans un baiser passionné dans lequel s'échappa toute la frustration des derniers mois.

Ulrich glissa sa main sous son haut, caressant sa peau en remontant lentement jusqu'à sa poitrine, tandis que ses lèvres effleuraient son cou, descendant jusqu'au creux de sa gorge. Puis son autre main remonta lentement le long de sa cuisse. La tentation était trop grande, l'attraction physique qu'elle avait toujours suscitée chez lui trop forte. Ce n'était sûrement pas une bonne idée, mais il n'arrivait plus à contrôler ses pulsions. Tant pis. Il aurait tout le temps de regretter plus tard. Pour l'instant, il était incapable de réfléchir, son corps agissait tout seul.

Quand il l'allongea sur le lit, le coeur de Lulu manqua un battement, mais elle ne résista pas. Elle fut parcoure de frissons, l'attirant au-dessus d'elle en le ramenant près de son visage, l'embrassant avec fougue et envie, la main agrippée dans ses cheveux. Elle ferma les yeux, savourant les caresses de sa main sur sa peau et celles de ses multiples baisers. Mais quand il commença à caresser sa cuisse et qu'il effleura son entrejambe, elle se crispa. Tout allait trop vite. la limite entre s'avouer qu'elle l'aimait et se donner à lui était mince, mais elle se refusa à la franchir. Ulrich était réputé pour jouer avec les femmes, et vu ce qu'il lui avait dit un mois plus tôt elle n'avait aucun mal à le croire.

Alors elle le repoussa, sans violence mais fermement tout de même, redescendant son débardeur jusqu'à sa taille et remettant son mini-short en place. Elle s'écarta un peu, de manière à ce qu'il ne vienne pas l'embrasser à nouveau, car elle craignait de lui céder encore.

-Arrête, s'il te plaît... Je...

Elle ne trouva pas ses mots. Dans un état second, elle s'efforçait de ne pas céder à la tentation. Elle ne voulait pas réveiller leurs camarades de chambre, et elle refusait de n'être qu'un jouet de plus sur sa liste.
Finalement, elle se leva et alla se coucher dans son lit à lui, incapable de supporter plus ongtemps cette proximité. La respiration légèrement saccadée, elle s'efforça de se calmer. Et, instinctivement, elle recommença à se mentir, refusant ses sentiments. Elle s'enroula dans les couvertures et lui lança un dernier avertissement :

-Ne me touche pas. Plus jamais...

Quand elle retira ses mains, Ulrich comprit qu'il avait fait une erreur, qu'il était allé trop vite. Il tendit sa main dans sa direction dans une piètre tentative d'excuse, puisqu'il n'avait jamais été capable de demander pardon, mais la jeune fille s'était déjà levée. Il allait la suivre quand il entendit sa remarque, qui lui fit bien plus d'effet qu'un coup de poing dans l'estomac.

Il se figea, assis sur le rebord du lit, et se laissa tomber en arrière, plaquant ses mains sur son visage dans un geste désespéré. « Quel con.... Mais quel con.... » lâcha-t-il dans un soupir. Il ferma les yeux et resta immobile quelques instants. Franchement... Sa laisser dominer comme ça parce ses pulsions... Ça ne lui était pas arrivé depuis... Non ça ne lui arrivait jamais en fait. Mais Lulu était tellement... tellement attirante. Il n'avait jamais attendu aussi longtemps avant de réussir à embrasser une femme qui l'attirait à ce point. C'était ça, l'attente, longue, et la façon dont ils s'étaient embrassés, cette promiscuité dont elle ne voulait plus. Cela dit c'était compréhensible qu'elle lui en veuille. Il y avait tellement de rumeurs, tellement de choses, vraies ou fausses, qu'on disait sur lui... Il soupira à nouveau. Incapable de dormir, il finir par sortir de sa chambre d'un pas rageur après avoir récupéré sa guitare.

[...]

Ulrich ne revint dans sa chambre qu'au lever du jour, rajoutant à ses cernes une nouvelle nuit blanche. Du coin de l'oeil, il aperçut Lulu qui dormait encore. Tenté, il s'approcha du lit et contempla le visage endormi, soupirant de dépit. Il déposa un baiser sur ses lèvres sans se préoccuper de savoir si ça la réveillerait ou non. Puis il alla s'habiller et s'assit par terre, devant la porte, appuyé contre le mur, attendant que la chambre soit vide. Il fallait qu'il lui parle, il fallait qu'il lui explique... Qu'il lui explique quoi ? Qu'elle l'attirait trop ? C'était un coup à se prendre une baffe, si ce n'était plus. il soupira. Il n'y arriverait jamais.

Lulu nageait en plein cauchemar. Au sens propre des deux termes. Malgré le rêve où elle tentait désespérément d'atteindre une rive qui semblait s'éloigner en permanence, elle perçut le retour d'Ulrich dans la chambre, qui se matérialisa dans son rêve par de violentes vagues qui cherchaient à la noyer. Forcément. Ulrich était devenu le grand méchant de ses cauchemars; Ridicule. Quand il l'embrassa, cependant, ce fut de l'eau qui entreprit de l'étouffer. Suffocante, elle se retrouva sur la rive, entendit leurs camarades de chambre qui se levaient et quittaient la pièce et, enfin, elle parvint à s'extraire du sommeil.

Ce fut pour voir Ulrich devant la porte, ce qui ne l'enchanta pas spécialement. Non seulement il trouvait le moyen de hanter sa vie, mais en plus il venait maintenant hanter ses rêves d'une manière ou d'une autre. Et puis, rêve ou pas, elle l'avait senti l'embrasser. Elle n'avait pas été assez claire ?

Décidant tout bonnement de l'ignorer, elle récupéra des sous-vêtements, un jean et un débardeur rouge vif et alla se changer dans une pièce attenant. Elle prendrait sa douche plus tard, pour l'instant ça impliquait de sortir de la chambre et donc de s'approcher d'Ulrich. Exclu, bien sûr.

Ne pouvant pas sortir, elle retourna dans son lit _ le sien, cette fois _ et sortit un livre dans lequel elle se plongea avec le plus de concentration possible. Avec un peu de chance, il ne viendrait pas. il ne lui parlerait pas. il ne l'approcherait pas.... Les battements accélérés de son coeur l'exaspéraient profondément. Pourquoi est-ce qu'ils persistaient ?

Ulrich observait le manège de Lulu avec un regard désabusé. Il trouvait leur situation profondément ridicule et sa façon de l'ignorer ostensiblement l'agaçait. Il eut cependant le tact et la patient d'attendre qu'elle ait fini de s'habiller. Tant qu'il restait là, elle ne sortirait pas, elle ne s'enfuirait pas, or il avait tout son temps. Elle céderait. Sécher les cours était loin de le déranger, à vrai dire il s'en fichait éperdument, et s'il fallait qu'il fasse ça pour qu'elle daigne l'écouter, alors soit. Sauf qu'il n'avait pas la patience qui allait avec.

Alors il cessa de l'admirer et se leva, s'avança vers elle et lui retira doucement le livre des mains. Sa peau effleura la sienne et il se sentit frissonner. Et il se trouva encore plus ridicule. Elle allait s'énerver, mais peu importe. Il n'avait pas l'intention d'attendre après elle toute la journée, voire plus. « Ça suffit. Je ne vais pas te courir après toute ma vie. ». Il savait déjà ce qu'elle allait répondre à ça. peu importe. Rien n'avait d'importance en dehors de ses beaux yeux ambrés et de son merveilleux... visage, parce qu'il n'avait jamais spécialement vu son sourire, en fait.

Il n'avait qu'une seule solution. Après un dernier soupir, il se baissa pour la regarder dans les yeux, refusant de se laisser distraire par ce beau, ce magnifique regard doré. Il avait voulu jouer avec elle, et il avait perdu. Il aurait dû se douter qu'à force de lui tourner autour et de multiplier les contacts, son attirance allait finir par évoluer... Peut-être l'avait-il fait volontairement... ou peut-être que, dans le fond, il n'avait pas ressenti que de l'attirance. « Pourquoi tu rejettes la vérité, alors que tu le sais aussi bien que moi ? ». Magnifiques yeux, magnifiques lèvres, magnifique corps... Lulu l'avait fait craquer. Totalement. Et il refusait de céder. Il repensa à son rejet de la veille et un éclair de tristesse passa dans son regard. « Je t'aime, Lulu » murmura-t-il dans un souffle.

Il n'arrivait pa à croire qu'il venait de prononcer ces mots. Aimer... Le concept en lui-même lui était assez étranger. Il ne se souvenait pas d'avoir aimé. Il y avait juste assisté de l'extérieur : ses parents adoptifs s'aimaient, l'aimaient, lui, sans doute. Mais sa vraie mère ne l'aimait pas, par contre. S'il n'avait jamais aimé, il n'avait jamais prétendu aimer pour autant. Le fait que ces mots aient franchi ses lèvres donnaient un sens définitif aux battements de son coeur qui s'affolaient en sa présence. Pour elle, il renoncerait à tout. A la drogue, bien qu'il n'y ait plus touché depuis longtemps, aux femmes, à l'argent. Tout était insignifiant tant qu'il l'avait elle...

Lulu sentit son livre lui glisser des mains et grimaça. La proximité d'Ulrich n'était pas du tout bonne pour son mental général, surtout maintenant. Elle n'avait pas envie qu'il s'approche d'elle. Pas envie de lui parler. Pas envie de rougir lorsqu'il effleurait sa main. Pas envie de sentir les battements de son coeur s'accélérer en croisant son regard. Elle n'avait pas envie d'admettre qu'il avait raison. Oublier... il fallait qu'elle oublie ce qui s'était passé la veille.

- Si tu n'as pas envie de me courir après, pourquoi tu me fous pas la paix !

Elle en avait assez. Tout ce qu'elle voulait, c'était qu'il s'éloigne d'elle pour qu'elle réussisse à calmer ses battements de coeur trop rapides, même si elle refusait d'admettre ce qui le faisait autant accélérer. Elle le vit se baisser et recula instinctivement, de peur qu'il ne l'embrasse à nouveau. Elle ne voulait pas. Elle ne voulait pas ressentir ça.... Mais il se contenta de lui poser une question. LA question qu'elle ne voulait surtout pas entendre. Elle le savait déjà. Elle céderait. Et il fallait qu'elle le pousse à renoncer avant de ne plus être capable de renier ses sentiments.

- Je ne rejoindrais pas la longue liste de tes conquêtes, Kirschten, lâcha-t-elle d'un ton sec.

Car c'était de ça qu'il était question, non ? Non... La tristesse dans son regard ne lui avait pas échappée, et sa déclaration non plus. Déclaration... Mais tout ça n'était à ses yeux qu'un autre moyen de la faire céder. Sauf que l'entendre dire "je t'aime" fit un miroir à ses propres sentiments, et elle grimaça. Tomber amoureuse de son pire ennemi, c'était vraiment une idée stupide... Surtout d'un mec pareil...

Ce n'était pas du tout le genre de réponse à laquelle il s'attendait. A la rigueur, un "cesse de te croire supérieur", ou même un "je vais te casser un bras" lui aurait plus plu. Ulrich grimaça. « Ah... Tu as entendu parler de ça... » soupira-t-il. Oui, c'était logique dans un sens. Même s'il se présentait souvent sous un faux nom, sa réputation n'était plus à refaire, comme si se cacher ne servait à rien. Il suffisait que quelqu'un de Rayen le surprenne au bras d'une fille et quelques jours plus tard d'une fille différente pour que la rumeur se crée. Mais là, tout de suite, ça n'arrangeait pas ses affaires. Il baissa la tête, cherchant ses mots, puis s'expliqua en plongeant son regard dans les beau yeux dorés de Lulu. « Tu ne risques pas des les rejoindre. D'abord parce que je n'ai pas besoin d'argent, ensuite parce qu'il est hors de question que je séduise des filles qui se trouvent dans le même pensionnat que moi 24/24h, et encore moins dans la même chambre. Et enfin, étant donné que chacune des conquêtes en question rêve de me faire la peau, je n'ai pas spécialement envie que tu en fasses partie. »

Il se rapprocha d'elle et conclut : « Demande à celle que tu veux, aucune d'entre elles ne m'a jamais entendu dire ces mots. ». Ces mots.... "Je t'aime". Il ne savait même pas si c'était une bonne ou une mauvaise chose de les avoir prononcés, mais il ne se sentait pas le courage de le faire une nouvelle fois, pas pour l'instant du moins. Il se trouvait ridicule. Se mettre dans un état pareil pour une fille qui avait tant de fois failli le réduire en cendres était pitoyable. Mais il n'y pouvait rien.

Ulrich prit la main de Lulu dans la sienne. « Je te l'ai déjà dit, tu es différente. Sauf que ce qui était un jeu au début est devenu plus sérieux pour moi. Alors s'il te plait.... Arrête de mentir. ». La supplication dans sa propre voix lui donnait presque la nausée. Il se haïssait d'en être réduit à la supplier. Il se haïssait de tenir tant à elle que son coeur ne battait plus normalement en sa présence.

Lulu était nerveuse. Elle sentait qu'il ne lui mentait pas, mais elle était résolument décidée à ne pas se laisser manipuler. Après tout, malgré ces sentiments qu'elle s'efforçait de faire taire, elle ressentait toujours une colère brûlante en sa présence. Le fait qu'il n'aie jamais déclaré son amour à une de ses conquêtes ne signifiait pas qu'il n'avait pas défini de nouvelle méthode pour la faire céder, elle. Il en était capable et ça faisait un certain temps qu'il rêvait de la coller dans son lit, après tout. Elle se souvenait que quelque chose lui avait paru bizarre la fois où il avait fait "semblant" de l'embrasser, mais elle était trop préoccupée par l'idée d'éviter la colle pour s'en soucier. Sauf qu'il avait raison sur un point : il savait ce que ça faisait d'être son ennemi, pourquoi prendrait-il le risque de la pousser à le haïr encore plus ? Juste pour coucher avec elle ? Non. Ça lui faisait mal de l'admettre, mais il n'était pas assez stupide pour ça.

Différente... Après tout que risquait-elle ? S'il lui avait menti, elle pourrait toujours lui faire payer pour le restant de ses jours... ou jusqu'à ce qu'elle s'en lasse/ Elle capta la supplication dans sa voix et, au lieu de dégager sa main, elle serra la sienne et se pencha dans sa direction. Non, elle n'avait rien à perdre. Et elle ne pouvait pas renier indéfiniment ses sentiments sinon elle allait finir par péter un câble pour de bon

Elle fut cependant incapable de prononcer un mot. La crainte d'être trahie retenait encore sa parole. Non, elle ne lui faisait pas confiance. Elle était amoureuse de lui, ce dont elle se serrait bien passé, mais elle ne lui faisait pas confiance. ou en tout cas pas assez pour prendre le risque de prononcer des mots qu'elle risquait de regretter. Alors, comme elle n'avait pas de moyen plus clair, elle souleva son visage et l'embrassa, avec une douceur qui était loin d'être de ses caractéristiques. Tant pis, elle prenait le risque. Elle aurait le temps de regretter plus tard.

S'il y avait bien une chose à laquelle il ne s'attendait pas, c'était ça. Il eut un frisson puis, la surprise passée, il se redressa en attirant Lulu contre lui, sans rompre leur baiser. Sentir cette tendresse venant d'une boule de nerfs comme elle était surprenant. Il se sentait bien, Cela faisait même longtemps qu'il ne s'était pas senti aussi bien. Finalement, il n'avait pas vraiment perdu au change. Tomber amoureux, ça ne lui était pas arriver depuis pas mal de temps. Il avait oublié combien c'était agréable quand c'était réciproque.

Refusant de la voir réagir comme la veille, il ne se risqua à aucun geste plus passionnel. De toute façon, sa fuite l'avait un peu refroidi et il n'avait pas spécialement envie de se risquer à aller plus loin pour le moment. Sa main droite resta serrée sur celle de Lulu, l'autre se glissa derrière sa nuque pour la retenir légèrement. Il ne voulait pas refaire la même erreur que le soir précédent. Ne pas oublier qu'elle avait une tendance exacerbée à être paranoïaque et lui à avoir la poisse. Et ne pas oublier non plus que la limite entre l'amour et la haine, surtout dans le cas de Lulu, n'était pas bien épaisse.

Même s'il tenait pas vraiment, il finit par séparer leurs lèvres. Sauf qu'il ne savait plus quoi dire. Maintenant qu'elle avait accepté, il devait faire quoi ? La remercier d'avoir été sincère ? Non, ça n'était pas son genre et elle était capable de mal le prendre. Finalement, il lui dit, avec un petite sourire aux lèvres : « Je suis censé interpréter ça comment ? ». Il le savait, bien sûr. Il se demandait juste si elle aurait le courage de le dire.

Pendant qu'ils s'embrassaient, Lulu prit conscience de deux choses. D'abord, qu'elle était bien plus amoureuse que ce qu'elle pensait, vu la vitesse à laquelle battait son coeur. Ensuite, que vu que celui d'Ulirch battait à la même vitesse, il ne lui avait finalement pas menti. Et enfin, qu'elle se sentait étrangement bien, étrangement calme, et que l'orage qui grondait en permanence dans sa tête venait de passer au second plan. Il la calmait, alors qu'il était à l'origine la source de la plupart de ses crises de nerfs. C'en était presque ironique.

Elle se sépara de lui à regrets, mais refusa de lâcher sa main ou de s'éloigner de lui. Ses barrières avaient totalement cédé. C'est seulement à ce moment-là qu'elle se rendit compte qu'ils étaient debout, et elle s'étonna elle-même de ne pas s'en être aperçue. Par contre, quand il parla, elle se sentit rougir. Et même si c'était moins visible sur sa peau et qu'il ne l'avait sans doute même pas remarqué, le fait d'en être consciente n'arrangea pas sa gêne.

-Tu... Tu le sais très bien... parvint-elle à prononcer en bredouillant.

Elle était incapable de prononcer les mots qu'il attendait d'elle. C'était trop soudain, trop sincère, aussi espérait-elle qu'il n'insisterait pas. Elle se sentait ridiculement faible face à lui.... Et elle n'avait même pas la volonté de dire qu'elle détestait ça. Finalement, il avait presque toujours eu cette emprise sur elle. Elle était amoureuse de lui. Voilà, elle l 'avait admis. Mais elle n'était pas sûre de pouvoir le supporter.

Oui, il le savait très bien. Depuis quelques temps, il avait l'impression de lire en elle comme dans un livre ouvert, de toute manière. Lulu était bien plus prévisible que ce qu'il avait toujours pensé, ou en tout cas elle l'était lorsqu'elle devenait vulnérable. Et face à lui, elle était indéniablement vulnérable. Malgré tout, il aurait bien aimé l'entendre avouer ouvertement, même s'ils étaient seuls, ses sentiments pour lui. Tant puis, ça lui convenait, pour le moment. Restait à régler un léger détail.

Elle ne voulait pas qu'il l'approche, ce qu'il pouvait aisément comprendre au vu de sa réputation. Sauf qu'il n'avait pas 36 manières de lutter contre son ancienne addiction à la drogue qui, peu importe le temps, semblait avoir endommagé son cerveau de façon plus ou moins définitive. En fait, il n'en avait que deux : la guitare, et le sexe. Et s'il ne pouvait pas toucher Lulu, il allait devoir continuer de chercher ailleurs. Ce qui n'allait certainement pas lui plaire. Donc tant qu'à faire, autant s'assurer une sorte de... sécurité. « Il faut que je te parle de quelque chose... ». Comment formuler ça ? Sincèrement, bien sûr, Lulu semblait avoir un certain talent dans l'art de déceler les mensonges, et puis il ne voyait pas vraiment comment lui dire ça autrement. Mais pour être franc, il ne savait vraiment pas comment lui expliquer ça et protéger ses dents/os/autres en même temps.

Finalement, il choisit de commencer par le début. Il prit sa main, histoire de la retenir, de se rassurer et d'avoir un poing de moins susceptible de le frapper ua visage, et il lui expliqua plus ou moins clairement la période noire de son addiction à la drogue, et la seule façon qu'il avait de se débarrasser de son syndrome de manque. Ses doigts abîmés par les cordes de sa guitare et sa réputation extérieure suffisaient comme preuves. Plus il parlait, plus il avait l'impression de lui lancer un ultimatum totalement cruel. "Toi ou les autres filles". Ça lui aurait presque fait mal au coeur si sa santé mentale ne dépendait pas autant de ces deux solutions.

Le simple "il faut que je te parle de quelque chose" sonnait déjà mal dans sa tête. Pendant un instant, elle se dit qu'elle n'aurait peut-être pas dû rester, qu'il jouait encore avec elle et qu'il allait lui avouer ça avec l'habituel sourire prétentieux qu'elle avait toujours voulu lui arracher des lèvres. Elle le laissa prendre sa main sans réagir. Elle ne savait plus trop où elle en était, en ce moment.

En tout cas, de tout ce qu'elle avait pu imaginer, rien ne lui semblait aussi bizarre que ce qu'il était en train de lui raconter. En clair, ce n'était pas un coureur de jupons par plaisir mais juste pour combler son manque de drogue ? C'était quoi ce délire encore ? En clair, ce qu'il faisait là, c'était "donne-moi l'autorisation de te tromper, ou de coucher avec toi" ? Super choix, tiens. Il était marrant lui. D'un côté, elle avait peur qu'il se débarrasse d'elle purement et simplement si elle le laissait le toucher, sans compter qu'elle n'avait pas envie d'être forcée de lui "obéir", quoique le terme ne soit pas spécialement exact, et qu'elle ne voulait pas non plus que sa première fois ait un motif aussi pitoyable. D'un autre côté, elle n'était pas sûre de préférer le laisser coucher avec d'autres filles. Elle soupira. Voilà ce qu'elle gagnait à tomber amoureuse de n'importe qui.

- Fais comme tu veux...

Tout irait bien. Tout irait bien si elle ne le voyait pas avec une autre, en tout cas. Entre savoir et voir, il y avait une limite. Savoir lui ferait peut-être un pincement au coeur assez violent. Voir la rendrait violente tout court. Mais bon, ce n'était pas comme si elle avait le choix... Quoique si, elle avait le choix. Elle pouvait le repousser, se débarrasser de ses sentiments et oublier cette histoire. Sauf que ça n'était pas aussi simple...

Malgré tout, Ulrich se sentit mal. Mal pour elle, en fait. Jamais il n'avait imposé de choix aussi difficile à quelqu'un. Et il sentait que ce choix en particulier n'allait pas seulement compliquer sa relation avec Lulu. S'il ne faisait pas gaffe, il risquait carrément de la détruire dans l'oeuf. Ca ne lui plaisait pas. A vrai dire, pour une fois, il aurait préféré qu'elle refuse, qu'elle l'insulte, voire qu'elle lui foute son poing dans la tronche. Parce que la réaction qu'elle venait d'avoir, ce n'était pas Lulu telle qu'il la connaissait. Son coeur se serra. Non. Lulu telle qu'il la connaissait l'aurait frappé, insulté puis se serait cassée en claquant la porte. Là, elle s'était contentée de le regarder et de lui sortir un "fais comme tu veux" tellement neutre qu'il ressentait presque comme de la peine derrière. Ou du regret. Il se retint de soupirer. Non, c'était lui qui lui faisait de la peine, il n'avait pas le droit de faire celui qui se sentait mal. Si quelqu'un devait avoir mal ici, c'était elle.

Sauf que s'il restait, il sentait qu'il allait faire une connerie. Au choix, se complaire en excuse, essayer de la convaincre de le laisser la toucher, pousser un profond soupir de désespoir... En fait, il avait tout un tas d'options absolument pas drôles, pour elle comme pour lui, en tête. Dans la doute, il choisit de les esquiver toutes. Il se releva sans lui accorder un regard, les dents serrées pour ne pas se retrouver à s'excuser en boucle. Mais, alors qu'il atteignait la porte, il craqua. Et se retourna pour jeter un regard dans sa direction. Comment pouvait-il espérer construire quelque chose en partant sur une base pareille. Finalement, il laissa échapper son soupir. « Je suis désolé, Lulu. Je vais essayer de régler ça... ». Inutile. Il savait qu'il était incapable de lutter contre ce qui lui rongeait la cervelle. Mais il s'était senti obligé de dire ça. Pour ne pas se sentir trop coupable sans doute. Pitoyable. La tête baissée, Ulrich quitta la chambre sans chercher à voir sa réaction. Il fallait qu'il réfléchisse...

Ulrich était parti. Elle n'était même pas sûre de savoir si elle se sentait mieux ou moins bien. Avouer qu'elle était amoureuse de lui avait collé un sacré coup à son orgueil. Savoir qu'il allait la tromper en avait rajouté un deuxième. S'il y avait bien une chose qu'elle détestait, c'était de se sentir impuissante. Or là, elle était clairement impuissante. Le choix qui lui proposait lui offrait deux impasses, et elle savait pertinemment qu'il lui mentait. Il venait de lui dire qu'il n'aurait pas le choix, que pouvait-il espérer arranger ?

Elle ne chercha pas à le poursuivre. Admettre qu'elle l'aimait en restant enfermée dans sa chambre était une chose, l'admettre publiquement en était une autre. Et elle n'avait aucune envie de faire ce pas-là. Déjà que peu de personnes l'appréciaient, si elle devaient y ajouter en plus tous ceux qui détestaient Ulrich, elle n'était pas sortie de l'auberge. Et celles qui l'aimaient, qui devaient être nombreuses malgré tout. Combien d'ennemis cette relation allait ajouter à sa liste personnelle. Elle soupira. Voilà ce qu'elle y gagnait. Avouer ses sentiments c'était sympathique, surtout quand on considérait la vitesse à laquelle son coeur battait et la profonde euphorie qu'elle ressentait quand elle était dans ses bras, mais ne pas les ressentir ne l'aurait pas plus dérangée que ça.

Comment avait-elle pu passer aussi rapidement de la haine à l'amour ?