Hakuna matatizo !

l'Afrique c'est un endroit magique. Le Soleil y brille tous les jours, même quand le cœur est triste. La savane prend des couleurs orange-sablé à l'aube, ressemble à un désert d'or la journée. Malgré la chaleur qui peut y être étouffante, il fait bon s'y promener. Les lions dorment sous les grands baobabs, les gazelles sautent dans les hautes herbes. Il y a les zèbres qui broutent gentiment ce qu'il y a de flore, pendant que les rhinocéros s'offrent un combat de mâle dominant à mâle dominé. Près des points d'eau on peut croiser des crocodiles. Mes préférés restent les hippopotames. Des chevaux d'eau. Ils n'en ont certes pas l'élégance, mais ils n'en restent pas moins très classe. Haut dans le ciel, le mauvais présage s'abat sur nous avec la danse des vautours. Charognards que peu de gens apprécient. Et moi, je suis là, assise sur une branche d'arbre, avec en-dessous, mon prince. Il ne porte pas de nom, car il est libre comme l'air. Mais il revient souvent me voir. Ce prince, ce n'est pas un lion. C'est mieux encore. C'est une hyène. Il porte sur lui la laideur qu'il n'a pas dans le cœur...

-Chi ! Rentre. Il est temps de manger.
-J'arrive Swali.

Je me laisse glisser de la branche et atterrit en soulevant un petit nuage de poussière près de la tête de mon prince endormit. Il ne bronche pas et me suit lorsque je me met à courir jusqu'à notre maison. Une maison très grande, spacieuse et lumineuse. Ici, pas besoin de verrou comme dans les grandes villes. Pas besoin de porte, si ce n'est pour éviter des visites surprises. Je saute par-dessus la barrière et rejoint ma famille et Swali, ma nourrice. Celle qui a une peau ébène, celle qui est si belle, qui a des dents si blanches. Le Soleil tape fort. Il est midi. Sur la table, il y a les plats les plus délicieux du coin. Je vois au loin le Kilimandjaro. Mes parents sont assez fiers de leur domaine qui compte beaucoup d'hectares. Bienvenue chez moi, dans la réserve des MacNeil.

-Maman, est-ce que nous sommes obligés de partir ? Je suis bien ici...
-Ma chérie. Il faut que tu t'inscrives dans une école valable et surtout, ton père doit absolument rejoindre son entreprise.
-Mais maman...Swali ne va pas venir au Japon avec nous ! Je peux rester avec elle.
-Ne te comporte pas comme une enfant. Tu vas avoir quinze ans. Tu n'es plus un bébé. La discussion est close.
-Mais mamannn.
-J'ai dit...la discussion est close ! Et puis nous reviendrons pour les vacances. Le fils de Swali va venir avec sa famille pour gérer la réserve en notre absence.

La mine renfrogné, je regarde mes pieds. Je sais bien qu'il n'y a plus rien à faire. Mes parents ont décidés qu'il en serait ainsi et je n'ai plus mon mot à dire.

Pourtant nous avons toujours été bien ici. Et surtout, je suis né là, dans un village à proximité du Kilimandjaro. Vous devez vous demander comment une fille peut être écossaise et africaine. Soit…comment un écossais et pourquoi, serait-il allé dans la brousse ?

L’Ecosse et un beau pays verdoyant. Mon père me le dit souvent. Il y a des châteaux, le Loch-Ness et son monstre, les écossais et leurs coutumes. Toutes ces étranges créatures qui ont bercées les contes de mon enfance. Le Kelpie. Le Hagis…et tant d’autres. L’Ecosse. Je n’y suis jamais allée. Mes parents ont toujours trop à faire avec la réserve. Et même si notre bonne Swali nous aide beaucoup, il nous faudrait plus de main-d’œuvre, mais elles se font rares dans le coin où nous vivons. Enfin. Mon père c’est Henry McNeil. Henry est un prénom anglais, car ses parents lui ont donnés le prénom de l’homme qui a sauvé la vie de sa mère, donc, ma grand-mère. Mais ça, c’est une toute autre histoire. Henry était un petit garçon agréable, mais déjà emprunt du sérieux des adultes. Il ne joue plus à des jeux d’enfants depuis l’âge de sept ans. Certains pourraient penser que c’est un enfant triste, mais en fait, il a compris que pour réussir dans la vie, il faudra qu’il travaille. Ce qu’il fera sans relâche jusqu’à obtenir un diplôme en biologie. Malheureusement, ce diplôme ne lui servira que très peu, car chez les McNeil, la tradition veut que les enfants reprennent l’affaire des parents. Et Henry étant fils unique, il se voit propulsé au rang de vice-président de l’entreprise familiale, qui fabrique des cuvettes de toilettes. Il est alors âgé de vingt-et-un ans.

L’Afrique c’est le pays merveilleux que je vous ai décrit plus haut. Elle possède également ses mythes, ses légendes. Ma mère m’en a raconté de merveilleuses. Et j’aime penser que tout ce qu’elle m’a raconté est vrai. On a beau dire, les esprits, c’est quelque chose et ce n’est pas le marabout du village voisin qui dira le contraire. Ma mère s’appelle Charitée Wolof. Charitée, c’est un prénom étrange pour ceux qui ne sont pas habitués. Mais il faut savoir qu’ici, il y a bien des prénoms à sonorité particulière. Ce sont des mots de la langue française. Dauphin, Trésor, Vérité, Désiré, et tant d’autres. Ma mère est née en Afrique, y a grandi et ne l’a jamais quittée. Enfant, les autres la regardaient bizarrement. C’était l’africaine blanche. Ce n’était pas faux…mais cela s’explique par ses racines. Après, c’est une histoire que je vous raconterai en temps voulu. Les gens donc, la regardaient bizarrement. Certains avec crainte, disant que sa mère ne pouvait qu’être une sorcière, d’autre, avec admiration. Un peu comme pour les albinos. Dans certains endroits ils ton chassés, dans d’autres, traités comme des dieux. Pourtant, elle avait de nombreux amis. Car c’était une fille qui portait très bien son prénom. Elle le porte toujours très bien d’ailleurs. Elle aimait faire le bien autour d’elle, était une enfant très joyeuse et qui avait déjà un grand sens des responsabilités et du malheur d’autrui. Elle ne se plaignait jamais, car elle se disait que quoi qu’il arrive, il y a toujours pire. Elle allait à l’école du village, puis plus tard, ira au lycée de la capitale. Elle y obtiendra son diplôme en zoologie. Elle était alors âgée de vingt-trois ans.

Les personnages posés, il faut voir le contexte de leur rencontre. Ma mère me dit que c’était part un jour pluvieux, papa…que c’était par un grand Soleil. Je ne sais pas qui croire et entre nous, le temps n’a guère d’importance. Soit. C’était en Afrique. Ce que mon père faisait là-bas ? Il s’était trouvé un hobby. Car il avait beaucoup d’argent et s’ennuyait ferme dans les bureaux de l’entreprise familial. Cette nouvelle passion, c’était le voyage. Il avait été en Italie, en Asie, puis la Russie. Il était tombé amoureux du Japon, mais son grand rêve était de venir en Afrique. Et il y est venu. Avec ses études de biologistes, il avait entendu parler d’une réserve que tenait une femme et sa fille. Cette fille, vous l’aurez deviné, c’est maman…autrement dit, Charité. Il est tout de suite tombé amoureux d’elle. Elle, elle le trouvait bizarre. Avec sa chevelure rousse et ses tâches de rousseurs. Sa peau qui rougissait au Soleil, ses grands yeux mornes. Il jurait beaucoup…ce Henry. Mais il était amusant. Amusant à observer. Cet homme d’entreprise qu’elle emmenait pour les safaris et les soins aux animaux de la brousse. Et on se doute de la suite…A force de passer du temps ensemble, à force de déclaration, de petites attentions, Henry, il l’a eue…la jeune Charité, avec ses grands yeux miels, sa force de caractère et sa bonté. C’était la blanche africaine parmi les gens à la peau ébène…

Ils se sont mariés quatre ans après leur rapprochement. Ils avaient attendus de voir si la distance n’étiat pas un frein à leur amour et il faut croire que non, car si mon père est venu vivre en Afrique et a repris la réserve à la mort de grand-mère, il continue de gérer l’entreprise de toilettes et voyage beaucoup. Jusque-là, on ne se plaignait pas…jusqu’à aujourd’hui en tout cas…mais je vais d’abord continuer ma petite histoire.

Je suis née en pleine brousse. Ma mère n’était pas très prudente. Elle avait la robustesse des africaines et savait que je ne risquais rien, protégée par son ventre qui était bien rond…et elle était partie en safari avec papa. Il fallait qu’ils aillent voir une famille d’hyènes qui avait élu domicile près des barrières qui délimitaient notre domaine. La mère avait été tuée visiblement par un gnou et mes parents prirent le parti d’emporter les bébés. Sauf que ma mère à eu des contractions sur le chemin du retour. Et qu’ils étaient encore trop loin du village, de la maison. Au milieu de nulle part…en somme. Et c’est dans des conditions précaires que je suis née. Dans la nature, avec une portée de bébés hyènes qui devaient se demander ce qu’il se passait.

C’est là, la première fois que j’ai vu Prince. Mais je ne savais pas encore qu’il le deviendrait un jour…

J’ai grandi rapidement. J’étais, à l’école, la gamine aux yeux étranges. L’enfant de la savane, mais la blanche de la savane. Les enfants en général m’aimaient bien. Les parents me voyaient comme une gamine prometteuse. Le marabout du village aimait mes yeux. Peut-être un peu trop à mon goût…J’allais à l’école à pied accompagné de mon prince, ma hyène sans nom, avec qui j’avais grandi. Une enfance douce et très agréable en somme. Je n’ai pas eu, cependant, la joie d’avoir des frères ou des sœurs. Mes parents étaient trop occupés et mon père, assez absent. Mais cela ne m’empêcha pas d’être épanouie. Au contraire.

Et là, on me dit que je dois quitter mon petit paradis, mes amis…pour aller dans un endroit que je ne connais que de langue [CF : caractère]. Allez savoir comment je vais m’en sortir là-bas…tout ça parce que papa doit être plus souvent dans cette nouvelle entreprise, au Japon. Mutation…pourquoi il a été muté ? Pourquoi pas mon oncle ? Peut-être parce que Henry est celui qui sait parler japonais…tout simplement…

Adieu mon prince, ma Swali…mon Afrique natale. Adieu…