Iaroslav, dit Iar, Iaro, Slava, etcetera, est d'un tempérament qui supporte bien des choses. Qu'il s'agisse de lui faire des reproches, de le critiquer, de blaguer sur son compte ou d'adopter une attitude des plus familières, importe peu. Il n'y a généralement pas de soucis avec cela. Ceci est probablement du au fait qu'il prendra à peu près tout à la légère, avec une pointe de mépris pour qui ne s'en rendra pas compte. La grande force de ce jeune est donc en partie due à ce qu'il admire l’auto-dérision et l'absurdité, en les pratiquant plus qu'il ne le faudra, très certainement. Du coup, il aura tendance à rire de tout, à ne se préoccuper que de son bon-vouloir, et de faire tout ce qu'il désire sans se soucier des conséquences. Disons-le clairement, il est un sans-gêne. Néanmoins, même s'il peut se montrer prêt à dépasser toutes les bornes, il n'est pas sans orgueil ou arrogance. Il n'ira donc jamais vers les personnes qu'il juge inintéressantes. Sans doute les fuira t-il, même. Et ce sont ces individus qu'il bravera le plus. Souvent, il sera question de l'autorité, de ceux qui estiment avoir tout réussi, connaître la vérité absolue, ou tout bonnement des êtres tout aussi prétentieux que lui. En réalité, s'il n'apprécie que peu les gens se conformant aux usages et règlements, il en sera de même pour ceux qui les défient en créant leur propre structure. Les milieux mafieux, par exemple, qui suscitent chez lui un semblant d'attirance, mais qu'il rejette finalement en masse. Il ne désire que suivre ses propres lois. Tantôt, son comportement le poussera donc à être bagarreur, ou violent. Tantôt, il sera froid, distant et dédaigneux. Mais toujours pour la bonne cause. Au moins pour la sienne. Dans le fond, il n'est pas méchant. Seulement difficile à cerner, et plus encore à atteindre.

La perfection ? Non, n'allons pas jusque-là. Iaroslav en est loin. Bien qu'il soit grand, athlétique, vif, puissant et aime jouer les aimants avec la gente féminine, il n'est qu'un jeune russe au teint vigoureux et à l'oeillade vigilante. Sa chevelure, en réalité, joue un rôle prépondérant dans son personnage. Parce qu'il en fait ce qu'il veut, et qu'elle est fréquemment ce que l'on voit en premier chez lui, il s'en sert tel un catalyseur. Jouant avec, ayant l'habitude d'y passer la main, il aime cacher son visage derrière de longues mèches blondes et soyeuses. Autant dire qu'il prend soin de ses cheveux. Il apprécie aussi user de son regard, il est vrai. Perçant les individus de ses pupilles tirant vers le gris, il a un regard que l'on juge souvent trop inquisiteur. C'est un peu comme s'il pouvait lire directement l'âme des gens. D'ailleurs, il s'amuse régulièrement à plisser ses yeux pour observer longuement les choses, les enregistrer, et pouvoir s'en servir. Nous pourrions ajouter à cela quelques détails sur son visage, mais que dire de plus si ce n'est qu'il est finement dessiné, sculpté d'une manière aussi précise que son corps aux muscles bien entraînés. Slava est un étudiant d'une taille appréciable, présentant toujours très bien, quoi qu'il ait décidé de revêtir. Portant fréquemment du noir, mais aussi toutes sortes de tenues, il se plait surtout à pouvoir ôter sa veste et se balader comme bon lui semble, au gré de la température de ce pays qu'il trouve décidément bien trop chaud. Finalement, on remarquera l'immanquable tatouage qui marque, entoure et étreint son corps du bas des reins à son torse, en passant par son dos, ses côtes et son physique qui aurait pu faire de lui un lutteur. Ou pire, un Yakuza...

Qu'il faisait beau, en ce jour de septembre ! Que le ciel était admirable, si plein de gaîté, d'oiseaux qui chantent, de délicats nuages si semblables à du coton, d'une teinte si belle que l'on en oublierait presque les orages passés. Oh oui, que tout était magnifique. Nous n'avions vu de si adorable journée depuis fort longtemps, dans la ville des Tsars. N'importe qui, quelle que soit sa situation, devait se sentir léger en ce temps. C'en était fini des socialistes et de leur belle utopie partie en charpie. C'en était fini de tous ces prolétaires unis dans la même galère. Dorénavant, ils iraient tous pointer leur nez ailleurs, vers d'autres horizons où l'on les accepterait encore. Ils seraient tous seuls. Tous pauvres, abandonnés et humiliés. Mais oublions cela ! Aujourd'hui, c'était la naissance d'un nouveau russe.
Ah, qu'ils étaient charmants, ces bambins sensés faire renaître une nation au passé déchu. Ils devaient être du sang neuf pour finir ce triste millénaire. Ils devaient naître et grandir dans les décombres d'un empire aux abois, comme s'ils étaient les phénix revenant à la vie sur des cendres. Sauf qu'il n'y avait que peu d'immortalité là-dedans. L'âme russe ? Oui, certes, légèrement. Mais cette puissante nation ne devait-elle pas finalement décider par regarder ailleurs ? Une autre folie... Mais Iaroslav Milanovitch Karamazov ne la suivrait pas !
Fils de Milan Dmitrievitch Karamazov, et de Lenka Sergueievna Valentin, Iar devait venir au monde sous un ciel de rêve. À Saint-Pétersbourg, l'automne devait être une saison des plus appréciables pour ces parents non démunis, mais qui avaient perdu gros avec la fin de l'Union Soviétique. Réduits à chercher du travail, ne pouvant subvenir tout à fait à leurs besoins, mais vivant sur leurs acquis, ils eurent tout de même un fils, et s'en occupèrent le mieux qu'ils purent. Ainsi, le petit russe ne manqua quasiment de rien. Il eu droit à une enfance dont il ne devait tirer aucun regret. Puis vint, trois années plus tard, une petite soeur, qui ne pouvait que lui apporter de la joie.
Les anciens membres du Parti, haut fonctionnaires et citoyens respectés, s'étaient reconvertis. La jeune femme resta travailler à la maison, tandis que le père assemblait des Kalachnikov, en veux--tu en voilà. Ce qui laissa à Lenka suffisamment de temps pour élever ses enfants, leur apprendre à lire, écrire et compter aussi bien que n'importe quel gamin, sinon mieux. Et quand ils entrèrent à l'école, on ne peut dire qu'ils aient été des plus mauvais. Bien au contraire. Iaroslav se révéla être apte à s'adapter très rapidement et à assimiler sans aucune difficulté tout ce qui lui était demandé d'apprendre. Très vite, on remarqua qu'il pourrait être un élève surdoué. Pour vérifier tout cela, et étudier les capacités de son cerveau, on évalua sa logique, son intellect, ses réflexes et facultés de compréhensions de bien des manières. Mais cela se déroula toujours à domicile, avec ses parents, faute de moyens. Le jeune garçon se trouva être excellent aux échecs et d'une grande capacité d'écriture. Ce devait être un potentiel à exploiter. Et il le fit. Au moins jusqu'à ce que les choses changent. Avec l'âge, les rencontres, les amis, l'école, les sorties, la compétitions, les individus plus ou moins recommandables, la mentalité qui évolue...
Le petit Karamazov était devenu la tête de turc de ses camarades, en prenant de l'âge. Réputé pour son esprit vif et aiguisé, il fut battu plusieurs fois et se trouva en totale incompréhension avec lui-même. Comment un individu intelligent, capable de se servir de son cerveau efficacement, pouvait-il être roué de coup par des brutes sans pouvoir rien faire ? Il y songea longuement, avant de se rendre à l'évidence qu'il ne pouvait être un être physiquement fragile. S'il voulait devenir encore meilleur qu'il ne l'était, il lui fallait un corps aussi parfait que son esprit. C'est ainsi que passés douze ans, il s'attela à avoir une charpente plus massive et à ne plus voir ses compagnons de fortune faire les malins face à lui. En quelques temps, il était devenu celui qui frappe, qui fait mal et casse des dents. Sa réputation fut vite faite. Il était maintenant plus violent, plus provoquant, et se mettait à rejeter un peu tout. Les sanctions ne tardèrent pas, néanmoins. On menaça de l'envoyer en discipline. Il s'y refusa, prétextant qu'il avait d'autres ambitions. Lesquelles ? Sa mère le vit bientôt. Son père, lui, ne s'occupait déjà plus de sa fratrie depuis des lustres, préférant passer de l'usine au bar sans passer par la case maison.
Iaroslav "Milanovitch" Karamazov avait un correspondant japonais, et avait gardé cela secret pendant plusieurs années. Depuis le début de son adolescence, il avait correspondu sans faillir avec un camarade outre-mer, situé à plusieurs milliers de kilomètres. Pourquoi ? Pour perfectionner sa langue, notamment. Parce qu'il avait apprit le nippon, le français, l'anglais et l'allemand au cours de sa jeunesse, et qu'il souhait s'en servir, il n'avait pas choisi la liaison la plus proche. Et voilà qu'il était invité à s'y rendre, sur cet archipel. À Kochi, en Shikoku. Il n'aurait qu'à payer le billet d'avion et à s'y rendre. Ah, non, c'était déjà fait. Il ne lui manquait que la date et le consentement de ses parents. Chose qui ne tarda bien, bien que donné à contre-coeur.
C'est ainsi qu'à l'âge de seize ans, le jeune russe s'envolait pour une île du Pacifique, quittant son monde natal pour s'isoler là-bas. Il apprit, évidemment, à mieux connaître son camarade aux yeux bridés. Mais également, il se fit au monde de vie local, sans pour autant s'y complaire tout à fait. Plus il s'adaptait, plus il pouvait sentir une envie de rejet. Effectivement, ses pulsions qu'il avait vu l'aider à devenir quelqu'un en Russie, l'usage de la force et le refus de l'autorité, n'étaient pas restées là-bas. Plusieurs fois, on l'arrêta pour le ramener à sa famille japonaise. Mais chaque fois, il recommença à enchaîner les idioties, aidé et soutenu par le regard amusé de sa nouvelle bande. Il y avait parmi eux son hôte, ce jeune nippon qui avait son âge, mais aussi quelques autres autochtones bien sympathiques. Dont une fille qui l'intéressa particulièrement. La passion de l'amour aidant, et l'envie d'impressionner également, il s'adonna à commettre des délits et actes antisociaux de plus en plus violent et remarquables. Cela se termina par un feu qu'il déclencha dans une poubelle, le long d'un bâtiment administratif. Bientôt, le quartier fut touché. Il n'en échappa que grâce à ses comparses, allant se cacher chez sa famille adoptive pour la dernière fois.
Il l'avait décidé, l'année suivante, celle de ses dix-neuf ans, il ira au pensionnat Rayen. Puisqu'il n'avait visiblement pas pour ambition de rentrer au pays, bien qu'il écrivait à St-Pétersbourg chaque mois, il fallait qu'il trouve quelque chose pour s'occuper et plus ou moins se trouver un avenir. Cet établissement, à moins d'une centaine de kilomètres de son point de chute au Japon lui conviendrait donc tout à fait. Il s'occupa de tout pour pouvoir y entrer, et c'est ainsi qu'il devait se retrouver à étudier parmi tous ces individus sûrement aussi bizarres que lui pour l'année à venir.
Avant de partir, il fit un pacte avec ses compagnons de Kochi, pour qu'aucun d'eux n'oublie les autres quoi qu'il arrive. Ils se rendirent tous chez un tatoueur, et chacun décida de la marque qu'il porterait à tout jamais. Slava veilla à garder toujours en mémoire les dessins de ses amis. Puis, quand tout le monde fut passé, ce fut son tour. On dit qu'il en eu pour la nuit. Une nuit à garder en mémoire. Une nuit à ne jamais effacer. Même si maintenant, c'est dans un autre monde qu'il se trouve...