Du temps à perdre. Manger. Rien de mieux à faire, vraisemblablement. J’errais maintenant depuis des lieux, des minutes, voire des jours. Le pensionnat, par ce temps, et dans ce climat de reprise des cours, m’agaçait. Tout m’énervait, je crois bien. Et je n’arrivais à contenir cette colère permanente qu’en m’exilant, en rencontrant ou observant de nouvelles personnes, des individus inconnus au charme particulier. Souvent, il existe trois types de personnes : les belles et distrayantes, qui attirent les yeux parce qu’elles ont un timbre de voix ou quelque chose de physiquement non-négligeable ; les ingrates et attrayantes qui, parce qu’elles ont soit le cerveau dérangé, soit la parole trop leste et mal tenue, un petit trait de caractère que l’on pourrait dire « fou » ou « atypique » ; puis dernièrement, ceux et celles qui se fondent dans la masse, qui sont le juste milieu et n’attirent pas l’œil. J’aurais aimé et de cette dernière catégorie. Tout, pour éviter la seconde. Mais souvent, à mon grand dam, et finalement par une chance que j’en avais assez d’assumer, j’attirais les regards pour ma personnalité trop imposante. Je sortais de la masse de japonais, par ma blondeur et ma taille, par mon gabarit et ce ton qui m’était propre. Un accent russe, qui plus est. Du coup, en me fondant tant que possible dans la masse, j’évitais des ennuis, mais pas pour très longtemps. Je voulais surtout ne pas passer pour un idiot et me montrait peu expressif. Alors tout risque de rester bloquer au milieu d’un troupeau de nippon était dangereux. À chaque instant, je pouvais me retrouver assailli d’yeux ou d’un vocabulaire qui ne m’était pas propre. Tel que j’étais, ma vie pouvait basculer à la moindre seconde.
Pourtant, j’avais bel et bien choisi, pour éviter à la pluie fine qui tombait dehors, de m’abriter là. Un restaurant non-gastronomique étatsunien. Le genre de chose que l’effondrement du communisme, dans mon pays, à contribué à voir émerger. Même les petits asiatiques vaincus par deux bombes atomiques, ont fini par accepter la nourriture un peu trop gavante de leur vainqueur. Le digne représentant du soft power, de la culture américaine et de sa pression. J’étais pris dans l’étau. Si habituellement, j’évitais à tout prix de me retrouver à poireauter dans la queue de cette chaine de fast-food, j’étais pris au piège, là. Je n’avais renoncé assez vite. Déjà trois minutes que j’attendais, sans que la queue ne daigne avancer d’un pouce. Celle d’à-côté avait gagné plusieurs mètres. Mais en changer, c’était mettre en avant la loi de la file d’attente, qui veut que l’on prenne toujours la plus lente. Je ne bougeais pas, jetais quelques regards désapprouvant, ou plein de reproches, dès que possible. J’attendais. J’étais là, las et affamé, et ce n’était que le début…