Je détestais ces moments-là que je n’avais pourtant connus que trop bien. Comme toujours je me présenterai devant ce prof que je ne connais pas encore, comme toujours je lui montrerai cette foutue dispense qu’il me refusera, comme toujours j’aurai à lui expliquer mon problème, et comme toujours j’aurai le droit à ce regard plein de pitié et de honte. J’en avais l’habitude en fin de compte, et sincèrement je ne pouvais pas non plus leur en vouloir. Leur réaction était des plus normales, car comment réagir lorsqu’un de vos élèves vient vous dire que s’il assiste à votre cours il prend le risque de ressortir du gymnase les pieds en avant ? Alors loin de moi l’idée de mourir pour un simple cours de sport, je préférais largement avoir à affronter un instant leur regard coupable et empreint d’une tristesse qui m’écœurait sincèrement. Ca n’était non pas par pure critique que je pensais cela, mais simplement parce qu’en réalité je n’en pouvais plus de ne pas me sentir comme les autres. Partout atour de moi je revoyais des élèves éclater de rire en rentrant dans le pensionnat totalement trempés des pieds à la tête après s’être prit un bon valdingue dans la neige. D’autres encore s’en tenaient les côtes tant ils riaient de voir l’un de leurs amis manquer une marche, ou bien se faire tout simplement bousculer comme c’est censé arriver chaque jour. Sauf que si cela m’arrivait à moi, les conséquences en seraient que plus graves. Rien qu’à voir mon bras gauche qui était fermement maintenu dans ce foutu plâtre alors que, dès le premier jour, mon frère m’avait brusquement pousser, je commençais sérieusement à craquer de ne pas pouvoir vivre comme un homme devrait le pouvoir. J’y étais habitué depuis ma naissance, et franchement j’avais accepté cette idée depuis bien des années, seulement il y avait des jours comme ça où je souffrais véritablement de cette vie qui ne m’avait jamais sourie dans quel domaine que ce soit.
Lâchant un profond soupir en me réveillant ce matin, je lâchai un léger gémissement alors que mon bras meurtris me lançait horriblement. Me levant tant bien que mal de mon lit, je calais sur mon plâtre les vêtements que je choisissais dans ma penderie, optant pour un jean gris foncé ainsi qu’un pull léger blanc que je galèrerai encore à mettre avec ce foutu bras. Et non, je n’étais pas de mauvaise humeur ! Enfin, cela partirait dans les quelques secondes qui suivraient, comme d’habitude. Je ne me laissais jamais aller à ces pensées négatives, essayant toujours de prendre la vie sous un autre angle. Après tout, le véritable bonheur se trouvait partout autour de nous, il fallait simplement parvenir à le voir et essayer de prendre du recul pour toute situation difficile. Cela pourrait sembler simplet de voir les choses de ce point de vue-là, mais j’avais pourtant vécu une vie suffisamment difficile pour avoir réussi à me forger une certaine optique. Comment aurais-je fini sinon, entre un frère qui me haït, une mère alcoolique qui s’abandonnait, et un père qui ne cessait de nous battre ? SI je devais ajouter à cela ma maladie qui aurait tôt ou tard raison de moi, alors je n’en finissais plus. Quitte à ce que ma vie soit écourtée, autant que je ne me la gâche pas en me lamentant constamment sur mon sort.
Prenant la direction de la salle de bain, je m’attachais soigneusement un sac plastique autour de mon bras, m’aidant de mon bras valide et de mes dents pour en refermer le nœud, puis me glissa sous l’eau chaude de la douche. En ressortant quelques minutes plus tard, j’avais bien heureusement pris soin de me réveiller suffisamment à l’avance en sachant pertinemment que je mettrais du temps à finir de me laver, de me sécher et surtout de me vêtir, prenant garde à ne faire aucun faux-mouvement. Lorsque je fus enfin prêt, je sortis de ma chambre et enfilai mes converses, avant de prendre ma dispense médicale pour sortir enfin de ma chambre. Nous attendant dans le hall pour faire l’appel avant que les élèves ne prennent la direction du gymnase, j’attendais avec ceux de ma classe notre professeur de sport qui ne tarderait plus à arriver à présent que l’heure avait sonnée. Patientant dans mon coin alors que ma timidité m’empêchait d’aller vers les autres que je ne connaissais pas encore, le professeur arriva enfin, son carnet d’appel dans les mains. Me dirigeant vers lui avant qu’il ne commence, je lui dis dans mon habituel sourire aussi incroyablement doux qu’empreint de timidité :
« Bonjour Monsieur, excusez-moi de vous déranger. Je viens d’arriver au pensionnat, et j’ai ce certificat à vous donner. » Lui dis-je en lui tendant le papier.
Le lisant d’un air dubitatif, celui-ci me demanda avec hésitation :
« Je vois que vous avez le bras dans le plâtre, mais ça va bien se rétablir un jour, alors pourquoi est-ce une dispense définitive ? »
Et voilà, la fameuse question que j’attendais depuis des heures arriva enfin… Vérifiant d’un léger coup d’œil qu’aucun élève trop curieux n’écoutait notre conversation, je lui répondis :
« J’ai vu l’infirmière hier qui m’a dit qu’elle prendrait incessamment sous peu contact avec vous pour vous montrer mon dossier médical. J’ai un problème de santé disons qui m’empêche de pouvoir faire du sport. Au moindre choc mes os risquent de se briser. » Lui expliquais-je, son visage passant un bref instant au blanc à ce moment-là.
« Oh… Oui je vois. Et bien j’irai la voir à la fin de l’heure de sport. En attendant vous pouvez aller en étude ou là où bon vous semble. Je m’occuperai de tout cela. » Me dit-il, sa voix trahissant cette gêne manifeste qu’il ressentait malgré qu’il essayait de garder la face.
Le remerciant poliment, je le saluais avant de partir. Mais pour aller où… ? Regardant autour de moi, je me décidais de filer à la bibliothèque avant que mon estomac qui se mit à gargouiller ne me rappelle soudainement à l’ordre. Il était vrai que je n’avais même pas pris la peine de déjeuner, ce matin…
Prenant dès lors la direction de la cafétéria, je poussais la lourde porte à battant (du moins lourde pour mon corps qui était loin d’être musclé par ma maladie qui fragilisait l’ensemble de mon squelette et de mes muscles, je pénétrais dans la vaste salle dépeuplée à cette heure, ou presque. Seuls cinq élèves maximums se tenaient là, quatre regroupés ensemble à une table au fond de la salle ainsi qu’une adolescente attablée au bar et sans doute plus âgée que moi, quand bien même je paraissais mentalement et physiquement bien plus âgé que mon âge, à ce que l’on avait pu me dire tant de fois.
Me dirigeant à mon tour vers le bar, je m’asseyais sur l’une des chaises hautes plutôt confortable, avant qu’un membre du personnel ne me demande ce que je désirais.
« Un thé noir et un muffin, s’il-vous-plait. » Répondis-je poliment de ma timidité légendaire, mon habituel doux sourire sur les lèvres avant que l’on ne me serve.
Encore une matinée qui s’annonçait longue, mais au moins j’étais pénard pendant quelques heures !